Fassou David Condé
«Alors ne vous y trompez pas: l’histoire est du côté de ces courageux Africains, et non dans le camp de ceux qui se servent des coups d’État ou qui modifient la constitution pour rester au pouvoir. L’Afrique n’a pas besoin d’hommes, mais de fortes institutions.» Ces paroles sont celles de Barack Obama, prononcées le 11 juillet 2009 à Accra.
Elles font écho aux dernières actualités du continent, comme pour dire que les problèmes d’hier sont les mêmes aujourd’hui. Le récent coup d’État au Mali aura donné l’occasion de s’en convaincre. Pour les tenants d’une grille de lecture strictement juridique, rien ne justifie l’action des militaires maliens dans le champ politique. Celle-ci est à condamner, elle est anticonstitutionnelle, et ne doit bénéficier d’aucun soutien.
Pourtant, on a beau condamner les coups d’État, ils sont encore présents, récurrents dans certains pays du continent africain. En parler exclusivement en termes d’inconstitutionnalité tend par conséquent à essentialiser et pris comme objet de recherche, à en faire un impensé, sinon une aporie. Puisqu’il s’agit d’un fait social , qui met en branle la société entière, le coup d’État militaire, quel qu’il soit, doit être abordé, discuté sans préjugés, sans manichéisme, sans jugement de valeur.
La gestion du pouvoir politique par le commandement militaire n’est pas intrinsèque à une aire culturelle. Cela revient à dire que ce qui se passe au Mali n’est nullement extraordinaire, un cas isolé, puisque les sociétés humaines ont toujours fait l’expérience de ce type de phénomène politique. D’ailleurs, en France, «pendant des siècles avant la Révolution, aucune distinction n’existait entre ceux qui portaient le sceptre, symbole de la fonction de la politique, et ceux qui portaient l’épée, symbole du commandement militaire.»
On a beau condamner les coups d’État, ils sont encore présents, récurrents dans certains pays du continent africain
Il est vrai que les périodes et contextes ont changé, mais nuance à apporter un coup d’État militaire prend avant tout lieu dans une société. C’est en regard de celle-ci donc qu’il faille l’analyser pour rendre compte de la complexité des choses. Beaucoup de pays en Afrique, désignés aujourd’hui comme bons élèves en matière de respect des principes démocratiques, ont connu maints coups d’État militaires, symboles du désordre politique. Deux exemples : le Ghana et le Liberia. On comprend par là qu’il n’y a pas d’ordre politique qui n’ait été précédé de désordre politique. L’ordre politique est un processus qu’on ne peut hâter: il est hors des volontés individuelles, dépend de la conscience collective.
Le défaut de la notion de transition réside d’ailleurs dans ce qu’elle se concentre plus sur les élites que sur ce qui se joue par le bas. Pour revenir au cas du Mali, nous remarquons que le pays comptait déjà des coups d’État militaires dans son histoire, lesquels ont conduit à des transitions politiques négociées en fonction des acteurs et des conjonctures. Celui du 18 août 2020 est bien différent de ceux qui l’ont précédé pour sûr, mais une constante demeure, et qui constitue leur dénominateur commun à tous, c’est cette hypothèse que l’action des militaires maliens sur le champ politique tient à la faiblesse des institutions politiques.
On comprend par là qu’il n’y a pas d’ordre politique qui n’ait été précédé de désordre politique. L’ordre politique est un processus qu’on ne peut hâter: il est hors des volontés individuelles, dépend de la conscience collective
Une armée est une institution et elle n’a pas vocation à exercer le pouvoir politique. Impliquée dans un système politique fortement institutionnalisé, la probabilité qu’elle adopte des comportements professionnels et se tienne hors du champ politique est plus importante. A contrario, impliquée dans un système politique faiblement institutionnalisé, il est plus probable qu’elle adopte des comportements non-professionnels et en vienne à exercer le pouvoir politique.
Cela signifie que l’ordre politique au Mali dont on ne saurait parler en excluant l’action des militaires, dans le sens qu’elle agit sur l’expérience politique des populations concernées est encore en chantier. Là où d’aucuns verraient un processus politique qui stagne, produit des ratés, nous discernons un changement incrémental, qui s’inscrit sur la longue durée.
Pour légitimer leur action, les élites militaires ont joué sur le registre de cette crise de légitimité du pouvoir politique malien. Dans une société beaucoup plus démocratique, avec de fortes institutions, cet argument aurait été disqualifié
Avant que l’armée au Mali ne vienne à renverser Ibrahima Boubacar Keïta et s’emparer du pouvoir politique, des mouvements sociaux ont eu lieu, appelant l’équipe gouvernementale à la démission. Pour légitimer leur action, les élites militaires ont joué sur le registre de cette crise de légitimité du pouvoir politique malien. Dans une société beaucoup plus démocratique, avec de fortes institutions, cet argument aurait été disqualifié. L’adhésion populaire au coup d’État du 18 août semble intéressante, elle en dit long sur l’état actuel de la société malienne.
Accepter une gestion politique par des militaires, quand bien même fût-elle anticonstitutionnelle, traduit qu’au niveau où il se trouve, ceci est une réalité sociale qui lui correspond. Plus tard, espérons par suite de la transition militaire à venir, cela ne sera plus possible, car le peuple, ayant atteint une certaine maturité politique, partie prenante d’un système politique fortement institutionnalisé, ne pourra l’accepter.
Chaque évènement politique a une incidence sur la trajectoire politique d’un État. C’est leur enchaînement qui débouche sur des sociétés politiques, où les populations sont maîtresses du jeu démocratique. Être pessimiste quant à l’avenir du Mali ne devrait donc pas être l’attitude des uns et des autres.
Crédit photo : Le Soir
Titulaire d’un Master en Études politiques de l’école des hautes études en sciences sociales (EHESS), Fassou David Condé est écrivain. Il a publié en août 2020 un roman intitulé “Avenues de la liberté” aux éditions l’harmattan.
1 Commentaire. En écrire un nouveau
Très bonne réflexion