La migration africaine : de nouvelles routes, de nouvelles figures
Auteur : Sylvie Bredeloup
Lien vers le document original [Fr] [En]
« C’est l’extrême pauvreté qui règne sur leur continent qui pousse tous ces milliers d’immigrants africains à risquer leur vie en traversant la Méditerranée et ensuite, ils viennent envahir l’Europe… ». Chercheur en sociologie de la migration, l’auteur juge utile de revenir sur ces quelques idées fausses qui, à force d’être distillées, débouchent sur l’adoption de mesures politiques et policières visant à réguler des flux imaginés massifs, invasifs et, plus largement, contribuent insidieusement à la fermeture du monde, au moment même où de nouvelles solidarités pourraient être pensées.
D’abord, l’Europe n’est pas la destination principale des Africains. Les statistiques sont sans équivoque : la migration africaine constitue une part marginale des mouvements vers les pays développés. En 2004, on recensait officiellement 7,2 millions migrants africains implantés dans un des trente pays de l’OCDE, dont 1,2 millions de ressortissants ouest-africains. En revanche, selon des évaluations établies à partir de multiples recensements sur le continent noir, l’Afrique de l’Ouest1abrite quant à elle 7,5 millions de migrants2, originaires d’un autre pays ouest-africain. Autrement dit, 86 % des migrations ouest-africaines sont aujourd’hui intra-régionales et principalement frontalières.
Depuis le début des années 1990, les flux migratoires au départ de l’Afrique subsaharienne et en direction de l’Afrique du Nord ont aussi pris une ampleur inédite à mesure que d’autres routes migratoires se refermaient, en lien avec le durcissement des politiques migratoires en Afrique du Sud, en écho à la guerre civile en Côte d’Ivoire, à la crise du Darfour et aux turbulences politiques secouant la République Démocratique du Congo et le Togo. Il ne faudrait pas pour autant en conclure trop hâtivement que les migrants africains conçoivent les rives nord du Sahara seulement comme un lieu de transit sur la route de l’Europe. Si une minorité se retrouve exposée sous les feux médiatiques, la grande majorité entend bien conforter une activité professionnelle rémunératrice en Libye ou en Algérie pendant plusieurs années avant de rentrer au pays.
L’Afrique, championne de l’expulsion
Les tensions sur le marché du travail, les problèmes sécuritaires – et surtout la manière dont les États africains construisent dorénavant leur identité nationale – menacent dangereusement la cohabitation des populations locales et immigrées. Le contrôle a succédé au « laissez-faire » de sorte que, sur l’ensemble du continent africain, on assiste à une mise en conformité de la pratique avec des textes qui, pendant longtemps, n’avaient pas été appliqués.
Le migrant africain : une pluralité de figures
Paysans, colporteurs de rue, entrepreneurs transnationaux, étudiants, enseignants, marabouts, diplomates, sportifs ou techniciens, ils s’installent – durablement ou provisoirement – dans un autre pays du continent dans l’espoir d’améliorer leurs conditions de vie, de s’émanciper des contraintes familiales ou enfin de découvrir de leurs propres yeux les attributs de cette modernité que les médias ne cessent de leur vanter. Motivations économiques, politiques et individuelles semblent ainsi étroitement imbriquées et contribuent à la construction d’itinéraires migratoires complexes.
Migration ne rime pas avec pauvreté
Près de la moitié des migrants issus des pays les plus pauvres se dirigent vers un autre pays pauvre selon la Banque mondiale. Contrairement aux discours habituellement tenus, ce ne sont pas les plus démunis en capital économique ou social qui partent en migration. D’abord, le recours aux coxers, passeurs ou autres intermédiaires, tout au long de ces périples, devient de plus en plus prohibitif dès lors que le nombre de candidats à l’émigration s’est accru et que ces « services » se sont récemment professionnalisés et monétarisés. Ensuite, par la route ou par l’air, les trajets intra-africains demeurent d’un coût élevé. Enfin, plus les migrants disposent d’un carnet d’adresses bien rempli, de références professionnelles solides, plus leurs chances sont grandes de pouvoir mobiliser, au gré de leurs itinéraires et au fil des opportunités, leurs multiples compétences.
La précarité touche ceux qui se retrouvent bloqués sur les routes et qui ne peuvent ni prétendre à des activités professionnelles en rapport avec leurs qualifications pour des raisons très souvent d’ordre juridique ni s’appuyer sur l’hospitalité de l’Autre – compatriotes ou autochtones.
Enfin, si les ressources financières rapatriées par les migrants sont aujourd’hui globalement deux fois supérieures aux aides apportées par les pays riches, elles ne permettent pas pour autant la sortie de la précarité des zones de départ.