Ndeye Sokhna Gueye : Chercheuse au laboratoire d’archéologie de l’Ifan (Institut fondamental d’Afrique Noire) jusqu’en 2014, militante de la cause des femmes.
Unesco Breda : Bureau Régional de l’éducation en Afrique de l’Organisation des Nations – Unies pour l’éducation, la science et la culture. Ce bureau basé à Dakar représente l’Unesco dans 7 pays d’Afrique de l’Ouest.
Onu Femmes : Entité des Nations – Unies consacrée à l’égalité des sexes et à l’autonomisation des femmes.
Codesria : Né en 1973, le Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique a pour buts principaux de « développer des capacités et des outils scientifiques susceptibles de promouvoir la cohésion, le bien être et le progrès des sociétés africaines ». Son siège est situé à Dakar.
Année de publication : 2013
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Dynamique des mouvements sociaux de femmes au Sénégal :
* Les mobilisations pour l’indépendance du Sénégal et le droit de vote des femmes :
Les mobilisations des femmes remontaient déjà à l’époque des revendications pour l’indépendance du pays. L’époque était marquée par une grande effervescence syndicale et le développement du mouvement des travailleurs, illustré par les grèves des cheminots à la fin des années 40 et 50 (Ndour 1990 et Guèye 2011), surtout après le rétablissement du droit syndical par le gouvernement de Vichy à travers le décret du 7 août 1944 (Diop 1992).
L’union des femmes du Sénégal (UFS) constituait l’une des organisations féminines à l’avant-garde des luttes. Créée en 1954 et reconnue de manière formelle en 1956, l’UFS indiquait clairement dans ses statuts son caractère apolitique (Dia 1994-1995). Les autres mouvements de femmes s’épanouissaient au sein des partis politiques et les syndicats de la Section Française de l’Internationale Ouvrière (S.F.I.O), du Bloc Démocratique Sénégalais (B.D.S), de l’Union Progressiste Sénégalaise (UPS), et du parti socialiste.
Cependant, le réformisme masculin durant la période coloniale a délimité d’une façon très étroite le cadre dans lequel devait se déployer l’émancipation des femmes. Le militantisme de ces femmes était cantonné au travail social et caritatif. De même, la nature de leurs revendications était fortement marquée par l’agenda des hommes politiques. Ainsi, elles ont été utilisées comme principales animatrices des meetings politiques des candidats.
Elles étaient aussi engagées dans la lutte pour la décolonisation et l’émancipation du pays. Or, à la fin des années 50, la priorité était donnée à la lutte contre l’impérialisme français et à la revendication indépendantiste. Au nom de l’unité nationale et panafricaine, les autres contradictions de la société étaient considérées comme secondaires. Influencée par les idées de gauche et le courant marxiste, la conception communément admise était que cette émancipation était censée contribuer à l’amélioration de la condition féminine.
Selon leur entendement, l’indépendance devait pouvoir régler l’ensemble des problèmes y compris celui des femmes. Il ne s’agissait pas encore d’une remise en cause des rapports sociaux, marqué par un patriarcat, hérité de l’islam, du christianisme et du système colonial.
Cependant, la lutte pour l’indépendance ne fut pas le seul cheval de bataille des associations de femmes. En effet, l’octroi aux Françaises du droit de vote par décret du 19 février 1945 a poussé les mouvements de femmes à se battre pour l’obtention du même droit. Leur combat pour une même égalité de traitement entre elles et les Françaises fut soutenu en cela par les hommes politiques de l’époque qui étaient conscients des avantages qu’ils pouvaient tirer de l’électorat féminin.
Des manifestations de protestations furent organisées à Saint-Louis comme à Dakar durant les mois de mars et avril 1945 sous la houlette des associations féminines. Sous la pression conjointe de Lamine Guèye de la SFIO et Charles Gros présents en France, le ministre des colonies signa un nouveau décret promulgué en A.O.F.( Afrique occidentale française) le 6 juin 1945 octroyant le droit de vote aux citoyennes des quatre communes et qui fut élargi par la suite à toutes les femmes sénégalaises.
En fait, l’indépendance du Sénégal en 1960 n’a pas changé la situation des femmes, qui pourtant assurait la maintenance et l’animation des partis politiques. Avec le manque de démocratie qui caractérisait cette période des indépendances, « les femmes ont perdu leu espace de parole ». Elles vont être confinées dans un mouvement des femmes au sein du parti au pouvoir. Ce confinement va limiter la portée de leurs actions en termes de revendication pour les droits des femmes et subordonné leur libération au profit de celle de la nation.
En définitive, si ces actions des femmes rentraient dans le cadre des luttes nationales durant la période coloniale, les mobilisations féminines ont très vite pris diverses formes après les indépendances. Le développement de l’éducation des femmes, l’apparition d’une classe de femmes travailleuses (ayant une profession), le contexte politique plus démocratique, l’environnement mondial plus favorable aux femmes offre un terreau propice à l’émergence d’autres objets d’engagement, plus proches de leurs préoccupations.
* Le mouvement contre les violences faites aux femmes :
Le mouvement contre les violences faites aux femmes fut porté par plusieurs organisations de femmes. Presque toutes ont inscrit dans leurs objectifs et actions la lutte contre les violences basées sur le genre. Cet intérêt est lié à la recrudescence des violences dont ont fait l’objet les femmes et les filles. Les violences conjugales et les viols, relatés quotidiennement dans les faits divers des journaux, montrent la banalisation de ces actes.
La lutte contre les violences faites aux femmes est parallèlement impulsé par des réseaux comme le CLVF (Comité de Lutte contre les Violences faites aux Femmes), Siggil Jigeen, l’AJS (l’Association des juristes Sénégalaises), etc. Le CLVF est composé de dix-huit ONG de défense des droits humains et de promotion de la femme et de quelques individualités.L’organisation a été créée en 1996, suite à l’affaire de Fatou Dieng de Diourbel qui pendant vingt ans, a été violentée par son mari.
Plusieurs femmes s’étaient mobilisées pour l’appuyer dans ses démarches judiciaires. L’objectif principal du CLVF est de « contribuer à l’éradication de toutes les formes de violences faites aux femmes et aux enfants ». Les objectifs spécifiques sont de « soutenir les femmes victimes de violences par des actions concertées; de développer des actions nécessaires pour l’amélioration des dispositions législatives; de faire appliquer les lois protégeant les groupes vulnérables contre les violences; et de développer chez les populations le réflexe d’assistance à personne violentée. ».
Les méthodes d’action utilisées par le CLVF est le counselling, la médiation, la prise en charge médicale, judiciaire et psychologique des victimes de violences. L’animation de causeries, de conférences, de panels, d’émissions radiotélévisées fait partie du programme de sensibilisation auprès des groupements de femmes, des centres sociaux et des structures scolaires et éducatives. Des partenariats efficaces sont développés pour appuyer les victimes de violences.
Un plaidoyer est mené auprès des acteurs concernés pour l’application effective des lois en faveur des femmes et des enfants, notamment la police, la gendarmerie, le corps médicaux, le personnel judiciaire, les autorités religieuses et coutumières…. Des supports sont produits pour sensibiliser sur les violences et montrer ses différentes dimensions, physiques, morales, économiques, sexuelles, psychologiques.
Au total, de nombreux efforts ont été consentis pour documenter et enrayer la violence à l’égard des femmes au Sénégal. Diverses politiques publiques et lois pour la défense des femmes existent mais elles ne portent pas spécifiquement sur la violence à l’égard des femmes. Elles sont plutôt disséminées dans divers instruments traitant de l’analphabétisme de la femme, de sa santé, en général, et sont mises en œuvre par différentes autorités.
Cette dispersion des politiques et de la législation constitue un obstacle majeur à l’application des mesures. Toutefois, il reste encore du chemin à parcourir pour que la société, surtout les hommes, accepte de reconnaitre à la femme le droit au respect de l’autonomie et de son intégrité corporelle.
Le mouvement pour une plus grande participation politique des femmes ne date pas d’aujourd’hui, il remonte au combat des Sénégalaises pour l’obtention du droit de vote. Ce combat citoyen pour une représentation équitable des deux sexes dans les instances de décision s’est imposé avec le développement des organisations de femmes et de l’émergence d’un leadership féminin différent.
Cette exigence d’égalité est à placer dans un contexte particulier qui voit un changement dans la situation des femmes avec le développement de l’emploi salarié féminin, l’accès à la sphère publique, l’investissement des femmes dans le secteur informel, l’intégration des femmes dans la problématique du développement, les crises socioéconomiques et les avancées juridiques en leur faveur. Ces changements sont la source des formes nouvelles de mobilisations.
Au sein de leurs organisations, ces femmes espèrent transcender les premières préoccupations nationalistes de leurs prédécesseurs qui cherchaient avant tout à améliorer la condition féminine en se focalisant sur la santé maternelle et infantile ou le droit à l’alphabétisation. Ces préoccupations sont restées, mais elles revendiquent une plus grande vision de leur situation. Cela consiste à accepter la pluralité des identités féminines et en une remise en question plus profonde des structures socioculturelles, économiques et politiques existantes, caractérisées par une persistance des inégalités.
Cette nouvelle approche coïncide avec l’ouverture démocratique avec la naissance d’une floraison de partis politiques. Cependant, « l’ouverture démocratique a élargi les espaces de liberté et a accru le nombre de partis politiques sans pour autant subvertir le paradigme de l’exclusion qui confine les femmes aux périphéries de l’espace politique. ». L’efficacité de ces organisations fut amoindrie par une société, dominée par l’élément masculin qui se trouve au cœur du politique et qui détermine tous les paramètres qui la font fonctionner.
C’est fort du constat de l’absence des femmes dans les instances de décision que l’une des plus importantes organisations féminines au Sénégal, le Conseil Sénégalais des Femmes (COSEF) a focalisé son combat contre la marginalisation politique des femmes. Ce comité, réunissant des femmes venant de divers horizons, décida dans une assemblée générale, présidée par Maréma Touré, de focaliser le combat du Conseil sur une plus grande participation des femmes dans les lieux de pouvoir.
Le COSEF a alors lancé des actions citoyennes en appelant les Sénégalaises venant de toutes les formations politiques mais aussi celles qui ne sont pas partisanes à se regrouper dans une organisation pour se positionner comme une force de pression politique.
Les cinq associations sénégalaises militaient pour le renforcement de la représentation des femmes à l’Assemblée nationale lors des prochaines élections législatives. La stratégie adoptée par le groupe fut de passer des émissions de cinq minutes tous les soirs. Dans ces émissions, des femmes s’adressaient à leurs homologues pour leur faire prendre conscience de leur droit d’occuper de hauts postes de responsabilités.
L’objectif était d’arriver à obtenir au moins 36% d’élues. En visant 36 % d’élues sur les 120 députés (contre seulement 19 sur 140 dans l’Assemblée sortante), le G5 comptait bien peser sur le fonctionnement des partis politiques sénégalais et réduire les disparités sexistes constatées dans leur gestion interne.
Le message semble avoir été entendu puisque la Coalition Sopi (changement) du Parti démocratique sénégalais du président Abdoulaye Wade a investi 33 % de femmes sur ses listes, l’AFP (Alliance des forces de progrès de Moustapha Niasse, ancien Premier ministre) 29 %, l’URD (Union pour le renouveau démocratique) 30 %. Le Parena (Parti pour la renaissance africaine) avait battu tous les records en mettant sur sa liste 64 % de candidates. Par ailleurs, ce fut le premier parti dirigé par une femme, Mariéme Wane Ly, sur les 66 que comptait le Sénégal.
Des femmes étaient même inscrites en seconde position sur les listes de plusieurs partis, tels le PIT (Parti pour l’indépendance du travail), le Parti Socialiste, And-Jëf Parti Africain pour la Démocratie et le Socialisme et le Rassemblement National Démocratique.
A côté de ces activités, le COSEF (dirigé à cette époque par Haoua Dia Thiam, présidente de juillet 2005 à juillet 2008) a constitué un Forum qui s’inscrivait dans le cadre de la campagne « avec la parité, consolidons la démocratie » en partenariat avec les mouvements de femmes des partis politiques, les organisations de la société civile et la presse. L’objectif de ce forum était de « contribuer à l’effectivité de la parité dans le code électoral, à travers l’adoption de mesures immédiates et concrètes pour l’effectivité de la loi constitutionnelle sur l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. ».
Le COSEF espérait arriver à sensibiliser l’opinion publique sur la pertinence de la parité dans les institutions délibératives. Ce forum souhaitait réussir à faire des parlementaires, des leaders politiques, des guides religieux et des professionnels des médias des parties prenantes de la promotion de la parité.
Les principales actions réalisées étaient une pétition nationale exigeant la parité comme critère de recevabilité des listes de candidature en 2005 et une campagne qui fut lancée le 8 juin 2005 à la Chambre de Commerce de Dakar, sous la direction d’Aminata Diaw Cissé, alors Secrétaire générale du COSEF. Des rencontres furent organisées avec les Présidentes de mouvements de Femmes de partis politiques pour relayer le plaidoyer auprès des membres de leurs partis.
Un sit-in fut organisé le 1er décembre 2006 à l’Assemblée nationale pour réclamer la parité dans le code électorat. Les résultats obtenus par le COSEF et ses partenaires sont la résolution de l’Assemblée nationale prise en faveur de la parité le 1er décembre 2006. La dimension genre fut prise en compte dans les conditions de recevabilité des listes de candidatures aux élections législatives en décembre 2006.
La pétition fut présentée à la 52ème session de la commission des Nations Unies sur la Condition de la Femme à New York (en février 2006), par l’équipe du COSEF, pour solliciter le soutien des sœurs du mouvement transnational de femmes (COSEF 2011). Suite à la demande du COSEF, un modèle de loi est élaboré par une équipe, composée de juristes. Il s’agissait des Professeurs Amsatou Sow Sidibé, Ndiaw Diouf, El Hadj Mbodj et Ismaïla Madior Fall.
La loi fut soumise à la ministre de la femme de l’époque, Aïda Mbodji, à charge pour elle de la remettre au chef de l’Etat. L’un des pas considérables vers la réalisation des objectifs du COSEF est le vote de la loi n°23/2007 portant introduction de la parité sur la liste des candidats au scrutin de représentation proportionnelle le 27 mars 2007 à l’Assemblée nationale.
Il y a le vote de la loi constitutionnelle n°40/2007, de novembre 2007 qui ajoute à l’article de la Constitution la disposition suivante : « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ».
Cependant, suite au recours déposé auprès du Conseil constitutionnel par le Parti Socialiste (PS), l’Alliance des Forces de Progrès (AFP) et la Ligue Démocratique/Mouvement pour le Parti du Travail (LD/MPT), la décision d’imposer la parité sur les listes d’investiture des élections législatives et locales fut invalidée trois mois plus tard par cette instance suprême. L’explication donnée par le Conseil Constitutionnel est que la loi sur la parité est contraire aux principes d’égalité des citoyens, définis dans le Préambule de la Constitution sénégalaise.
Selon Fatou Kiné Camara (2007), cela traduit l’ignorance du Conseil constitutionnel qui « méconnaît deux Conventions fondamentales intégrées au texte de la Constitution : la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF) et le Protocole additionnel à la Charte africaine des droits de l’homme relatif aux droits de la femme».
Suite à l’invalidation de la loi, une nouvelle campagne est lancée de 2008-2010 avec des supports de communication pour diffuser le message et avec des rencontres avec l’Etat et les guides religieux.Des seaux, gobelets, tee-shirts et des flyers ont été confectionnés à l’effigie du slogan « La parité dans le Code électoral, une exigence des femmes » et ont été distribués lors des forums tenus à Dakar et dans les régions (COSEF 2011 : 43-44).
La marche spectaculaire pour la parité de milliers de femmes, habillées en blanc, de la place de l’indépendance jusqu’au palais de la république le 23 mars 2007, a permis de remettre officiellement au chef de l’Etat le modèle de loi sur la parité du COSEF.
Cette mobilisation montre qu’en « marchant de la place de l’Indépendance, symbole de la liberté nationale, au palais de la république, siège du pouvoir suprême, les femmes ont décidé de rompre les amarres de l’exclusion pour aller investir le cœur de l’espace clé de décision : le Palais de la République ». Trois années après la marche qui a réuni ce millier de femmes, la loi sur la parité est votée le 28 mai 2010 et dotée du décret d’application n°2011-819, le 16 juin 2011.
Outre les activités du COSEF, un « Caucus des femmes leaders » pour le soutien de la loi sur la parité est mis en place sous la houlette du laboratoire genre de l’Institut Fondamental d’Afrique Noire Cheikh Anta Diop, dirigé par Fatou Sarr. Le but du Caucus est de « créer une dynamique pour sensibiliser l’opinion par une pédagogie adaptée, avec des activités par les médias en direction des populations pour briser les résistances et les hostilités au projet de loi, grâce à une communication adaptée selon la culture ».
Des ateliers de réflexion et de partage autour de la loi sur la parité, sont organisés par le Caucus entre avril 2010 et le 07 mai 2011 dans les régions de Dakar, de Thiès, de Saint-Louis, de Kaffrine, de Kédougou et de Ziguinchor. Les premiers groupes ciblés sont les femmes leaders, issues des partis politiques, des centrales syndicales et des organisations de la société Civile. La coordinatrice nationale, Fatou Sarr, a participé à plusieurs émissions radiophoniques pour présenter le Caucus et expliquer les enjeux de la loi sur la parité.
A cet égard, elle a rencontré les rédacteurs en chef des organes de la presse écrite et audiovisuelle pour le traitement adéquat de la question. Un site web a été créé pour présenter et rendre visible les activités du caucus. Un dépliant reprenant le texte de loi est édité en plusieurs 10 000 exemplaires rentre dans la campagne d’information. L’une des activités phare de cette organisation est la rencontre réunissant le 16 avril 2010 à l’UNESCO-Breda des femmes leaders, issues des partis politiques, des centrales syndicales et des organisations de la société civile.
Des réunions entre quelques membres du Caucus et le chef de l’Etat Abdoulaye Wade sont organisées au palais de la république, respectivement le 24 avril et le 13 mai 2010. Un Atelier national, tenu le 05 août 2010 à Dakar, a permis de sensibiliser sur la parité 150 participantes venues des 14 régions du pays.
Parallèlement à la loi, fut créé, par le décret n°2011-309 du 07 mars 2011, l’observatoire de la parité. Son installation officielle, le 16 novembre 2011 par le président Wade, participe de la volonté politique de l’Etat à l’effectivité de la parité hommes et femmes dans les instances électives. La structure, dirigée par Fatou Kiné Diop, actuelle présidente du COSEF, réunit les plus grandes organisations de femmes.
La mission de l’ONP est de « veiller à l’application de la loi sur la parité mais aussi de suivre, d’évaluer et de formuler des propositions tendant à promouvoir la parité entre les hommes et les femmes dans les politiques publiques ». Les programmes de sensibilisations se sont poursuivis. Ainsi lors des échéances législatives de juillet 2012, le caucus des femmes leaders et le Cosef n’ont ménagé aucun effort pour organiser des ateliers de renforcement des capacités institutionnelles des femmes, inscrites sur les listes électorales. Ces candidates ont reçu une formation adaptée en matière de campagne électorale pour leur permettre de faire face aux candidats masculins plus rodés dans les joutes électorales.
Néanmoins, la poursuite et la vivacité du mouvement pour la parité restent assujetties à la volonté de l’Etat et des ministères de tutelles. La conclusion suivante du COSEF dans son livre relatant les différentes étapes de son combat pour la parité témoigne de l’espoir d’arriver à l’égalité de genre avec l’implication de tous :
« Il reste à toutes les militantes et militants, de faire en sorte que la pratique de cette loi sur la parité absolue homme-femme dans les institutions totalement ou partiellement électives induise un esprit de parité : l’égalité ! ».
Par conséquent, la tâche des organisations de femmes œuvrant pour les droits politiques de ces dernières n’est pas encore achevée. Le défi du mouvement pour une grande participation citoyenne des femmes a été l’application de la loi lors des élections législatives en juin 2012. Un scepticisme et une méfiance s’étaient installés dans les organisations de femmes qui doutaient de l’engagement des instances décisionnelles pour rendre opérationnelle et effective la parité de genre.
Ce défi n’est pas uniquement politique, il y a également un enjeu médiatique important. En effet, c’est une bataille de communication qui s’est engagée pour expliquer la parité aux populations et sensibiliser les partis politiques de la nécessité de la respecter. Dans une interview accordée le 15 Juin 2010 à Aliou Kandé, du quotidien national le Soleil, Marema Touré soulignait que « la parité n’est pas, une loi subversive qui cherche à bouleverser la structure de la famille. La parité ne cherche pas à chambouler la structuration de la sphère privée, elle concerne seulement la sphère publique et concerne, pour le moment les fonctions électives. La loi sur la parité vise à investir plus de la moitié des ressources humaines du Sénégal de tous leurs attributs de citoyenneté et d’acteurs à part entière et égale du développement. ».
Cette affirmation de Marema Touré résume bien le message véhiculé par les organisations de femmes concernant la compréhension à avoir de la parité. Tout au long de la campagne électorale, des femmes actrices du mouvement pour la parité ont essayé de rassurer la société sénégalaise sur les aspects purement politiques de cette loi à travers des émissions télévisées, radiophoniques ou à travers des articles dans la presse écrite.
Toutefois, ce plaidoyer n’a pas convaincu certains religieux qui pensent que la parité aura des conséquences dans la sphère privée. Autrement dit, elle va contribuer au changement des rapports homme/femme dans la vie de couple. Les prêches à la radio comme à la télévision traduisent cette inquiétude masculine. Leur offensive s’est manifestée par un investissement non négligeable de partis à caractère religieux durant la douzième législature.
Ces derniers ont adopté comme stratégie l’intervention des femmes dans leurs sorties télévisées, contribuant ainsi à une forte visibilité féminine dans l’espace politique. Cette adhésion des femmes dans l’activisme politique islamiste leur donne un droit à la parole qui n’est pas observé dans les partis politiques classiques.
Après quelques mois de campagnes de sensibilisation et de formation, les résultats des élections législatives du 1er juillet voient 43,33% de femmes des 150 députés élus. De ce fait, 65 femmes vont siéger à l’hémicycle. Face à ce résultat, un courant réactionnaire, incarné par Maître El Hadj Diouf (leader du Parti des Travailleurs et du Peuple, Ptp), demanda l’abrogation de la loi en brandissant l’argument du mérite et de la compétence pour figurer sur les listes électorales.
Pour lui, « la parité est un danger, même pour les femmes. Parce que les femmes les plus méritantes sont absentes des listes » . L’autre argument avancé par les opposants à la loi, et on retrouve parmi eux beaucoup de femmes intellectuelles, est celui du niveau faible d’instruction des femmes inscrites sur les listes. A cause de ce handicap, elles n’auraient pas les compétences requises pour constituer l’Assemblée de rupture qu’on attendait de la présence féminine à la douzième législature.
La compétence qui est mise en relief est celle obtenue dans le cadre du système éducatif formel ; cette conception ne tenant pas compte des expériences et des capacités acquises en dehors de ce système. Ce vent de contestation montre la précarité des acquis du mouvement social féminin sénégalais.
Les associations restent vigilantes face à ces résistantes qui se manifestent à tous les niveaux. Elles sont conscientes que le respect de la loi sur la parité par son application et par son irréversibilité constitue le pari à relever dans les années à venir. Le COSEF en a compris l’urgence et a mis en place, avec l’appui de ONU Femmes, depuis avril 2012, un projet sur deux ans qui est un « plaidoyer et un renforcement des capacités pour la mise en œuvre effective de la loi sur la parité au Sénégal ».
Le but visé est de mobiliser les autorités communautaires, religieuses et politiques à soutenir l’application de la loi sur la parité. Un des objectifs est aussi de renforcer les capacités institutionnelles et les procédures électorales des partis politiques sénégalais pour qu’ils ne puissent pas revenir sur la loi et faciliter son effectivité. Il leur est demandé une révision de leurs statuts et règlements intérieurs en conformité avec la loi sur la parité.
L’autre défi auquel doit aussi faire face le mouvement féminin est la compréhension à donner au concept de parité et qui divise les femmes. Une partie a une vision progressiste de la parité et souhaite l’élargissement de celle-ci pour qu’elle s’applique à la sphère privée et qu’on aboutisse à une réelle transformation des rapports hommes/femmes dans la société. Comme le constate Aminata Diaw, on ne peut pas « réformer l’espace public en laissant intact l’espace privé ou sans ce que cela n’est un impact quelconque sur l’espace privé ».
Le concept de la parité devrait, par conséquent, s’inscrire dans un projet sociopolitique ambitieux qui rétablit non seulement les femmes dans leurs droits mais également participe à la transformation des structures familiales et sociales. Dans cette perspective, la parité devra être plus qu’un « “principe” politique, mais un outil, un “habit” de l’égalité ».
L’autre groupe de femmes, le plus visible sur le plan médiatique, défend l’idée d’une parité limitée aux instances de décision politiques. En d’autres termes, pour les premières, la parité constitue un enjeu social et politique alors que les secondes s’en tiennent à son caractère politique pour des raisons stratégiques car la société sénégalaise n’étant pas prête à assumer de tels changements. Cette fracture théorique et conceptuelle pourrait constituer à long terme l’un des plus grands handicaps du mouvement social des femmes au Sénégal.