Les populations africaines peuvent-elles encore écrire leur propre histoire ?
Il n’y a rien à négocier avec les putschistes au Faso
Au moment où une délégation de chefs d’Etat d’Afrique de l’Ouest est à Ouagadougou pour réinstaller le président de transition du Burkina Faso, on ne peut qu’espérer un dénouement pacifique de la crise dans laquelle les putschistes du général Diendéré ont plongé le pays. Mais l’enjeu de la sortie de crise au Burkina Faso ne se résume pas au basculement ou non dans une confrontation armée en pleine capitale.Pour le Burkina Faso, pour l’Afrique de l’Ouest et pour l’Afrique subsaharienne, l’enjeu est de savoir si les peuples mobilisés derrière un projet de changement politique radical et non violent ont encore le droit d’aller au bout de leurs luttes.
L’enjeu est de savoir si tous les mouvements prenant des allures révolutionnaires doivent toujours être contrecarrés, regardés de haut puis annihilés par des médiateurs qui prônent le compromis à tout prix pour éviter la violence, même lorsqu’une des parties exerce un chantage à la violence et a déjà commencé à l’infliger à des civils.
L’enjeu aujourd’hui est de savoir si notre organisation régionale, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) va continuer à faire pendant encore longtemps ce qu’elle a fait ces dix dernières années : multiplier des médiations qui sont parfois efficaces pour dénouer ponctuellement des crises mais qui ne véhiculent jamais un ensemble de valeurs et de principes rigides permettant de poser les bases de la construction progressive de systèmes politiques démocratiques et d’Etats de droit stables.
La crise actuelle au Burkina Faso offre en réalité une occasion rare de mettre sur la table quelques questions délicates, profondes et surtout déterminantes pour l’avenir politique de toute la région.
L’une des revendications avancées par le chef des putschistes, le général Diendéré, pour justifier le coup d’Etat, est celle de l’inclusion des membres de l’ancien parti au pouvoir, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), dont les candidatures à l’élection présidentielle et aux élections législatives ont été invalidées par le Conseil constitutionnel sur la base du code électoral amendé par l’autorité législative de transition.
Cette revendication est considérée comme acceptable par un certain nombre d’observateurs et d’acteurs au Burkina Faso et en dehors, qui ne vont cependant pas jusqu’à accepter qu’elle soit brandie comme une justification ou une excuse pour le coup d’Etat perpétré par les hommes du Régiment de sécurité présidentielle (RSP). La CEDEAO semblait aussi prête à en faire un point de l’accord de sortie de crise.
Je n’avais pas de point de vue personnel sur la décision des acteurs de la transition d’exclure de la participation aux élections les personnes qui ont soutenu le projet de révision constitutionnelle au bénéfice de l’ancien président Blaise Compaoré. Ils auraient fait le choix inverse, celui d’autoriser tous les candidats à se présenter, que cela n’aurait pas nécessairement choqué. Cela aurait évidemment contenté les personnalités importantes de l’ancien régime qui se préparaient aux scrutins.
Les arguments en faveur de l’inclusion comme un geste de réconciliation politique et d’apaisement étaient donc tout à fait défendables. Mais les arguments en faveur de l’exclusion, non pas de tous les membres du CDP ou des partis alliés, mais des personnes qui ont soutenu le projet de révision constitutionnelle visant à maintenir Compaoré au pouvoir après 27 ans de règne, l’étaient tout autant.
Voici pourquoi. La transition au Burkina Faso n’a pas été le résultat d’un accord de paix après un conflit armé, ni d’un processus organisé par la CEDEAO, l’Union africaine ou les Nations unies. Elle a été provoquée par la révolte du peuple burkinabè – certes une partie seulement du peuple, mais c’est le cas dans toutes les révolutions partout dans le monde.
Ce sont les manifestations d’une ampleur sans précédent dans l’histoire du pays, et de toute l’Afrique de l’Ouest, qui ont mis en échec l’an dernier la tentative de révision de la constitution. La « révolution » de fin octobre 2014, parce qu’il faut bien l’appeler ainsi dans le pays de Thomas Sankara, a fait officiellement 24 morts.
Ce sont ces Burkinabè mobilisés, déterminés, organisés par une grande variété de forces politiques et sociales, qui ont provoqué la chute de Compaoré et sa fuite. Ces acteurs qui ont écrit collectivement un moment d’histoire de leur pays ont gagné le droit de protéger les acquis de leur révolution. Les organes de transition issus de ces évènements ont aussi gagné le droit de vouloir traduire dans leurs délibérations sur le code électoral le message d’une rupture politique symbolique.
Dès lors que les autorités de transition avaient fait leur choix, qui reflétait les aspirations des meneurs de la révolution d’octobre 2014, il fallait le respecter, quoiqu’on puisse en penser.
Il convient de rappeler ici que les acteurs même les plus radicaux du changement de régime au Burkina n’ont à aucun moment prôné la violence contre les représentants du régime Compaoré, civils et militaires, qui ont soutenu la voie explosive et antidémocratique de la manipulation constitutionnelle jusqu’au bout. Il faut rappeler qu’on a autorisé le CDP à reprendre ses activités politiques et à participer aux élections, avec la seule exigence fixée par le code électoral pour les candidats qu’il présenterait.
Dans beaucoup de pays, les révolutions et la chute des régimes autoritaires après des décennies de domination sans partage ont été suivies de règlements de comptes violents ou d’une perception de menaces suffisamment dissuasives pour éloigner pendant un moment les personnes les plus proches des pouvoirs déchus de la scène publique.
Dans les pays d’Afrique du Nord qui ont connu en 2011 les fameuses révolutions arabes, personne ou presque n’a trouvé à redire à la violation du principe de l’inclusion et d’une réconciliation politique immédiate qui se ferait sur le tapis de sang des manifestants tués.
En Egypte comme en Tunisie, les partis politiques respectifs de Hosni Moubarak et de Zine el-Abidine Ben Ali ont été dissous en 2011 dans la foulée de la chute des deux inamovibles présidents. Faut-il aussi rappeler, en remontant certes bien plus loin dans l’histoire, que certains des grands pays démocratiques de notre époque ont bâti leurs institutions républicaines sur les cendres de révolutions qui ont fait valser les têtes de leurs monarques ?
Heureusement, bien sûr, qu’on n’en est plus là. Mais ces rappels sont essentiels pour dire que les peuples africains ont encore le droit de prétendre entreprendre des révolutions pacifiques exceptionnellement raisonnables comme au Burkina Faso, et de vouloir élever la barre en matière d’éthique politique pendant la transition, sans qu’on vienne traiter leurs meneurs d’idéalistes, de naïfs ou d’irréalistes.
En réalité, si les personnalités de l’ancien régime avaient compris le message de l’insurrection populaire de l’an dernier, elles auraient fait amende honorable, se seraient volontairement mises en retrait de la scène politique pendant la transition, et auraient eu de bonnes chances de négocier progressivement leur retour. On leur aurait conseillé de changer le nom du parti pour faire oublier plus vite leur passé.
Lorsqu’on fait deux fois les mauvais choix à des moments cruciaux de l’histoire de son pays, il devient vraiment difficile de jouer les victimes et d’échapper à une sanction.
Mais elles n’ont manifestement rien compris. Après un mauvais choix l’an dernier, elles ont encore fait un funeste choix ces derniers jours, en soutenant un coup d’Etat porté par un homme et un régiment qui incarnent les épisodes les plus violents des années Compaoré. Lorsqu’on fait deux fois les mauvais choix à des moments cruciaux de l’histoire de son pays, il devient vraiment difficile de jouer les victimes et d’échapper à une sanction.
Terminons par un examen de cette théorie qui voudrait qu’un choix plus avisé eût été de transférer tous les problèmes compliqués aux autorités qui seraient élues au terme des élections. Ce serait à ces autorités – jouissant comme on aime bien s’en convaincre d’une légitimité populaire à toute épreuve – de décider de l’avenir du régiment hors de contrôle que constitue le RSP.
Le coup de force audacieux que le RSP vient de faire à quelques semaines des élections ne montre-t-il pas précisément que le maintien de cette armée dans l’armée aurait représenté une menace à la fois sur le déroulement des élections et sur le pouvoir qui en serait issu ?
Qu’est-ce qui aurait empêché Diendéré et ses hommes de continuer à exercer un chantage ouvert ou discret à la violence pour garantir leur sécurité, leur impunité et conserver une place forte dans le Burkina post-Compaoré ?
Les Burkinabés se seraient donné tout ce mal pour revenir après la transition à un pouvoir civil encadré par une partie de l’armée ? Et s’il n’y avait pas eu d’exclusion de certains candidats par le code électoral, se serait-on réjoui qu’une force politique aille aux élections en étant adossée à une bande armée suréquipée qui n’obéit ni à l’état-major des armées ni au gouvernement de transition?
La réalité est qu’il n’y avait aucune solution facile à chacun des problèmes que devait gérer la transition. Il est tentant de reprocher aux organes de transition d’avoir voulu entreprendre des réformes institutionnelles importantes au lieu de se cantonner à la préparation des élections. Ce raisonnement est valable pour les gouvernements de réconciliation ou d’union nationale qui rassemblent des forces politiques disparates, ne sont pas nés d’une insurrection populaire et ne sont guidés par aucun principe autre que la préservation de la paix.
Au Burkina Faso, il y a parmi les animateurs influents de la transition des personnes qui ont de solides convictions et ont voulu jeter les bases d’une république nouvelle avec peut-être le rêve de la voir redevenir la patrie des hommes intègres. Il y a pire comme ambition pour son pays.
L’histoire montre aussi que les périodes de rupture politique sont celles qui sont favorables à l’élaboration de nouvelles règles du jeu. Après les élections, les calculs politiques à courte vue prendront le dessus et rendront impossibles les réformes les plus audacieuses.
C’est une transition laborieuse parce qu’ambitieuse et courageuse que les hommes du RSP ont poignardée dans le dos. C’est elle que la CEDEAO doit sauver intégralement, en ne faisant aucune concession autre que le désarmement pacifique des preneurs en otage et des garanties de sécurité pour eux.
Si notre organisation régionale ne veut pas perdre toute crédibilité au Burkina Faso, elle n’a d’autre choix que d’aider ce peuple qui refuse l’humiliation à parachever sa révolution.
Analyste politique et économiste, Gilles Olakounlé Yabi est à l’initiative du think tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest, WATHI.
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Cette révolution est à mettre à l’actif d’une société civile forte et organisée qui ne craint pas de retrousser ses manches pour mettre ses mains dans le cambouis ou plutôt son propre sang pour bouter hors de leur pays une soldatesque trop, un peu trop bruyante !!!!!!
Merci Gilles pour cette belle analyse. Le peuple Burkinabé a montré à toute l’Afrique que la volonté d’un peuple courageux finit toujours par triompher sur les intérêts des castes politiciens. La CEDEAO doit accompagner les peuples.