Halima Diallo
Peut-on parler de cancer sans parler de la mort? Nous sommes en octobre et c’est le mois de la sensibilisation sur le cancer du sein, un mal qui atteint toujours plus de femmes. On nous reparle de l’importance du dépistage et de l’autopalpation du sein. Si on se dépiste très tôt, meilleur est le pronostic, meilleurs sont les traitements… nous disent les spécialistes. L’objectif de cette politique publique de santé est de réduire la mortalité, la lourdeur et les séquelles des traitements, avec un dépistage précoce.
Il est donc recommandé d’avoir un avis médical dès que l’on repère une anomalie : une boule dans un sein, des ganglions durs au niveau de l’aisselle, des modifications de la peau du sein et des mamelons, etc. Les cellules cancéreuses dites « métastases » peuvent migrer ailleurs dans le corps. Ces métastases peuvent dangereusement se loger dans le foie, les poumons, les os, le cerveau et la peau. De fait, elles peuvent perturber le fonctionnement normal de ces organes.
L’examen permettant le dépistage du cancer du sein est une mammographie (radiographie des seins), complétée par un entretien médical et une palpation des seins. Aujourd’hui, ces examens sont pris en charge à 100 % par l’assurance maladie et se font sans avance pour les femmes dans certains pays développés. Mais le dispositif reste insuffisant. Les réticences persistent pour les femmes quant à leur participation à des tests de dépistage : peur de la douleur, appréhension de la mammographie, peur des rayons diffusés…
L’examen permettant le dépistage du cancer du sein est une mammographie (radiographie des seins), complétée par un entretien médical et une palpation des seins
Quelles informations sont nécessaires pour que les femmes puissent décider, en connaissance de cause, de participer ou non au dépistage du cancer du sein ? Il existe aujourd’hui un taux avéré de sur-diagnostic du cancer du sein consécutif au dépistage organisé (dans les camions de mammographie par exemple). De ce fait, comment améliorer le parcours du dépistage du cancer du sein jusqu’à la mise en place d’une prise en charge éventuelle?
Ici, nous nous intéresserons aux Africaines dont trois études de cas portant sur des femmes sénégalaises confrontées à un diagnostic de cancer du sein. Chaque année, on enregistre 2500 nouveaux cas de cancer du sein et du col de l’utérus au Sénégal. De fait, il était plus que nécessaire de réfléchir à la façon d’améliorer l’accompagnement des patientes dépistées positives.
Depuis le 1er octobre 2019, les patientes sénégalaises atteintes de cancer du sein et du col de l’utérus bénéficient d’une prise en charge gratuite de la chimiothérapie. Mais la mesure de la gratuité ne concerne que la chimiothérapie. La chirurgie ou encore la radiothérapie restent à la charge de la patiente. Une mammographie reste encore très coûteuse. Le traitement est alors souvent interrompu. Si les difficultés financières sont importantes, les souffrances psychologiques ne doivent pas être écartées de la pathologie.
Mais pas seulement, nous sommes aussi frappés par le silence de ces femmes: «J’ai pris mon enveloppe, je n’ai rien dit, je suis restée stoïque devant le médecin puis une fois dans ma voiture, seule, j’ai fondu en larmes»; «Je n’ai rien dit à mon mari de peur qu’il me quitte»; «J’ai tout de suite pensé à mes enfants ; ils sont encore trop petits»…
Il arrive que certaines femmes atteintes du cancer du sein refusent de croire à ce diagnostic ou de l’accepter. Elles sont dans le déni et mettent donc du temps à commencer le traitement. Elles refusent d’en parler à leur entourage.
Chaque année, on enregistre 2500 nouveaux cas de cancer du sein et du col de l’utérus au Sénégal
Les femmes sénégalaises tiennent, parfois dans la confrontation, l’affrontement et le plus souvent en silence, dans la dignité, grâce à l’estime de soi préservée. Elles usent de patience, semblent attendre de pouvoir trouver « intuitivement » le moment propice où leur parole sera acceptée ou du moins émise. Pendant ce temps, la tumeur grossit et leur corps se dégrade. Il s’en suivra des douleurs, des gênes, des troubles cognitifs ou encore une fatigue générale dont l’intensité peut être ressentie différemment d’une femme à une autre.
Cette souffrance paralyse leurs pensées, leurs actions, les prive de l’exercice de leur travail et par là-même compromet psychiquement la construction de leur santé. Environ 1 personne sur 4 qui est atteinte de cancer fera une dépression clinique à un moment donné au cours de son expérience.
Larmes, tristesses, révoltes, colères, nervosités et souffrances… Comment supporter tous ces traumatismes affectifs ? Comment annoncer son cancer, sans culpabiliser, sans avoir peur des représailles ? Nous savons que ce n’est pas aussi simple. L’annonce d’un cancer du sein est souvent un bouleversement et une véritable souffrance pour les proches et cela peut entraîner des répercussions sur les plans personnels, familiaux, professionnels et intimes.
La chirurgie ou encore la radiothérapie restent à la charge de la patiente. Une mammographie reste encore très coûteuse. Le traitement est alors souvent interrompu
Très souvent, les femmes diagnostiquées d’un cancer du sein se confient, en premier lieu, à des femmes qui seront plus sensibles à leur pathologie et qui les réconforteront. La possibilité de rencontrer certaines femmes qui sont passées par là et qui ont pu s’en sortir constitue une aide très précieuse. A l’inverse, d’autres partagent une histoire singulière. Elles ont la même blessure. Elles ont eu une mère, une sœur, une cousine, une amie qui a été soignée, ou bien qui en est décédée.
Le soutien familial est encore plus important, de surcroît celui de l’époux. Une des interlocutrices de notre enquête raconte que son mari l’accompagne toujours lors de ses consultations bien qu’elle ait perdu un sein. Une autre a préféré nous parler d’une amie qui a été abandonnée par son mari. Il n’aurait pas supporté l’ablation de son sein, ni la perte de ses cheveux. «Il ne la touchait plus».
Combien de femmes refusent l’ablation de crainte de se voir abandonnées ? Y a-t-il des séparations, des divorces après un cancer du sein ? Dans ce cadre, des traumatismes psychologiques forts semblent pouvoir effectivement intervenir dans le développement d’un cancer du sein, ce sujet reste l’objet de controverses scientifiques et médicales.
Environ 1 personne sur 4 qui est atteinte de cancer fera une dépression clinique à un moment donné au cours de son expérience
Quelle est la responsabilité des soignants vis-à-vis de ces patientes ? Médecins, personnels de santé, psychologues sont-ils (sont-elles) dans une relation de soins avec leurs patientes ? Ne sont-ils (et ne sont-elles) pas en train de rajouter de la souffrance à la souffrance?
« On vous annonce la totale en cinq minutes et vous sortez sans avoir posé une seule question, vous n’avez pas eu le temps ». Les « difficiles relations » entre soignants et soigné(e)s ont fait l’objet de nombreuses contributions en anthropologie de la santé. De même que les mauvais traitements en partie due à la volonté des agents de santé de maintenir un rapport de pouvoir qui se manifeste par une violence verbale ou physique, de la négligence, de l’indifférence, la sollicitation de paiement illégaux, etc.
Pour conclure, “Octobre rose” est loin d’être un événement réjouissant pour de nombreuses femmes qui sont dans des hôpitaux, dont la vie est chamboulée, dont les aidants et, plus spécifiquement les enfants, souffrent eux aussi en silence. Ces patientes vivent avec l’incertitude de la guérison, ce qui perturbe le retour à la vie normale et engendre une dépression chez elle.
La traduction de supports dans toutes les langues nationales, ethniques, du Sénégal doit être fait pour que toutes les femmes puissent avoir accès à l’information.
Cette sensibilisation doit être continue, pas uniquement pendant “Octobre Rose”. Elle doit reposer sur des messages informatifs vérifiés (reposant sur les données connues à ce jour, à faire évoluer au regard des avancées scientifiques et technologiques) et non pas «publicitaires».
Des vidéos pourraient être diffusées dans les salles d’attente des lieux de santé et montrer les étapes de la réalisation d’une mammographie pour baisser les inquiétudes quant à l’examen en lui-même. La traduction de supports dans toutes les langues nationales, ethniques du Sénégal doit être fait pour que toutes les femmes puissent avoir accès à l’information.
Cette étude permet de réaffirmer que les patientes du cancer du sein sont très vulnérables et qu’elles ont des besoins qui dépassent la seule expertise médicale. Elles ont besoin d’être écoutées, soutenues, sécurisées dans la mesure du possible.
Source photo : Hôpital Saint-Joseph
Docteure en psychologie, Halima Diallo est actuellement chargée de cours à l’Universite Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD) et à l’Université du Sine-Saloum. Militante infatigable des droits des femmes, toutes ses publications scientifiques questionnent l’histoire des femmes, leur travail indissociable de l’intime, leur rapport au pouvoir, leur émancipation, leur migration, leur mobilité, leur santé etc. Elle participe également à des débats publics pour dénoncer, briser des tabous, faire évoluer les mentalités et déconstruire les préjugés sur les femmes et les hommes.
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Merci beaucoup Halima pour cet article pertinent. J’ai particuliérement apprécié le témoignage des patientes qui mettent à nu les souffrances des femmes atteintes de cancer. L’aspect financier et généralement mis en avant mais il ne faudrait pas passer sous silence la dimension psychosociale qui me semble nécessaire dans l’accompagnement des personnes atteintes et même leurs proches