Partir pour aider ceux qui restent ou la dépendance face aux migrations
Auteur (s) :
Florence Boyer et Harouna Mounkaila, 2010
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Dans les régions sahéliennes, le sort des paysans est étroitement lié à leur mobilité spatiale. Les pénuries alimentaires fréquentes et la croissance démographique poussent de nombreux hommes à migrer de manière temporaire afin de pallier les déficiences de l’agriculture villageoise. Leur absence est rythmée par le type de culture agricole mis en place dans les villages, car c’est de lui que dépend la capacité de financement de la migration. Ces mobilités circulaires dévoilent ainsi une relation d’interdépendance inédite avec leurs espaces de départ.
Dans un tel contexte, les temporalités migratoires se sont adaptées, c’est-à-dire qu’elles ont perdu leur caractère régulier : les migrants sont absents pendant des durées variant de une à plusieurs années et surtout leur retour ne correspond plus systématiquement à la saison des pluies. Toutefois, ce schéma classique des migrations circulaires perdure et les mouvements restent encore l’apanage des hommes.
Une mobilité génératrice d’équilibre
Le caractère massif des migrations circulaires, associé aux difficultés grandissantes de séjourner dans certains pays, a conduit également à une diversification des destinations. À l’heure actuelle, les espaces urbains concernés ne se limitent plus au Golfe de Guinée. Les migrants circulaires partent jusqu’à Dakar ou en Afrique centrale et depuis les années soixante-dix jusqu’en Libye et en Algérie (en lien avec l’exploitation pétrolière dans ces deux pays) ; il ne faut pas oublier non plus le maintien des migrations internes à des niveaux relativement élevés.
La région de Tahoua, située dans le massif de l’Ader, au centre-ouest du Niger, au niveau de la limite des cultures sous pluies, est souvent présentée comme l’une des principales régions de départ de ce pays pour ce qui est des migrations circulaires.
Des migrations massives aux temporalités propres
Quelle que soit la situation de ces villages, c’est-à-dire qu’ils aient la possibilité ou non de pratiquer des cultures maraîchères destinées à la vente, tous sont massivement concernés par les migrations circulaires de travail qui sont, exclusivement ou presque, le fait d’hommes jeunes entre 15 et 40 ans environ.
L’analyse des biographies migratoires a permis de montrer qu’à l’âge de 30 ans, la moitié des hommes ont effectué au moins une migration ; cependant, dès l’âge de 15 ans, le quart d’entre eux a déjà migré au moins une fois hors de son village.
Les migrations circulaires restent ainsi un phénomène masculin et elles sont marquées par la jeunesse de ceux qui migrent ; si les carrières migratoires ne sont pas normées en termes de parcours, nombre d’entre eux débutent par une ou plusieurs migrations internes qui les mènent soit vers les villes minières de l’uranium et du charbon (Arlit ou Tchirozérine), soit vers la capitale, Niamey.
Une pratique de l’absence qui sert l’unité du groupe
Si les temporalités des migrations circulaires sont en partie déconnectées des rythmes saisonniers de l’économie agricole villageoise, il n’en reste pas moins que la persistance des allers-retours dénote un ancrage autant des migrants que des migrations dans ces villages. Leur présence est requise périodiquement pour assurer la reproduction familiale et la pérennité de cette famille au niveau local, mais aussi sur un plan économique, pour que l’ensemble du groupe bénéficie des migrations et de ses revenus. D’une certaine manière, la dispersion, continue à l’échelle villageoise, passagère au niveau individuel, joue un rôle dans la possibilité de maintenir la présence et la cohésion sociale au niveau local.
L’observation du lien entre les systèmes de production locaux et l’organisation des migrations circulaires montre comment le risque est géré localement, et surtout comment cette zone a réussi à s’extraire d’une logique de survie malgré les pénuries alimentaires récurrentes. Quelle que soit la situation, les migrations circulaires sont totalement parties prenantes du système d’organisation sociale et économique. Si l’absence est encouragée et nécessaire, elle n’empêche pas non plus la pratique de l’agriculture et surtout, ne conduit pas à des départs définitifs. Au contraire, la migration apporte les ressources que ne peut plus fournir l’agriculture, permettant justement de pérenniser les systèmes locaux. Le risque est géré par le maintien de cet équilibre économique et social entre agriculture et migration.
De la dépendance locale face aux migrations
L’une des conditions pour que ce système fonctionne et qu’un certain équilibre se maintienne est que les migrants envoient, ou ramènent avec eux, de l’argent et des biens à leur famille. Une évaluation des remises à partir des banques, de Western Union et des comptoirs en relation avec la Libye installés dans la ville de Tahoua a montré que plusieurs milliards de francs CFA parviennent chaque année dans cette région. Certes, ces remises ne sont pas le seul fait des migrants circulaires, de même que ne sont pas pris en compte ce que les migrants ramènent avec eux lors de leur retour ou ce qu’ils confient à des ressortissants du même village.
Le mécanisme de dépendance qui apparaît entre les migrations et l’échelle locale est, au final, à double sens. Les départs ne sont autorisés que parce que le système de production les permet autant socialement qu’économiquement. Et ce dernier subsiste et se maintient par l’aide régulière apportée par les circulations.