Sylvain Felix Semilinko
J’ai lu et relu les observations, indignations, cris d’orfraie et autres récriminations au sujet de l’interview du président français à un vieil hebdomadaire panafricain de la place française. Certains en ont été outrés. La lecture qu’il conviendrait de faire, à mon humble avis, des sorties de M. Macron est l’exercice de l’indulgence et surtout de la lucidité et moins d’hypocrisie.
Le président Macron, dans l’un de ses fougueux et spontanés numéros de communication, avait déjà en mars 2020, adressé des félicitations à Alassane Ouattara, le président ivoirien, qui a déclaré ne pas se présenter à l’élection présidentielle de 2020 dans son pays. Mais diantre, pourquoi un chef d’Etat félicite t-il un de ses homologues qui, au regard de la Constitution de son pays, décide de ne pas se présenter à une élection? Cela ne fait pas sens, si ce n’est de la “condescendance”.
Le président Macron a-t-il adressé un message à la Chancelière allemande Angela Merkel lorsqu’elle a décidé de ne plus se présenter aux prochaines élections à la tête de son parti ? Pourquoi M. Macron n’a-t-il pas usé de la même cordialité vis à vis de M. Issoufou Mahamadou, président du Niger, lorsque celui-ci, un peu plus tôt que M. Ouattara, avait annoncé sa décision de ne pas briguer un nouveau mandat à la tête de son pays?
Le président Macron a-t-il adressé un message à la Chancelière allemande Angela Merkel lorsqu’elle a décidé de ne plus se présenter aux prochaines élections à la tête de son parti ?
A moins que ce ne soit pour embarrasser le peu docile ami de François Hollande, Alpha Condé de la République de Guinée, en pleine manœuvre politicienne pour modifier la Constitution de son pays afin de se présenter pour un troisième mandat à la tête du pays de Sékou Touré?
Le président Ouattara avait même ironisé sur l’âge du capitaine d’en face. L’ancien président Henri Konan Bédié du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) avait annoncé sa candidature à plus de 85 ans. M. Ouattara avait laissé entendre et vouloir passer la main à une «génération de jeunes dynamiques et compétents».
Cependant, avec la mort soudaine et inattendue du Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, M. Ouattara a décidé de rebattre les cartes à son profit, comme si au sein de son parti, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), il n’y a plus aucun cadre dynamique, compètent, présidentiable, représentatif de cette nouvelle génération. Un “pied de nez” ou une erreur de casting de sa communication vis-à-vis de ses concitoyens? Le président ivoirien va annoncer sa candidature lors du discours à la Nation le jour de la célébration de l’indépendance! Imagine t-on, le président Macron dire au Français, «je suis candidat à la présidentielle» dans une allocution du 14 juillet en France?
L’opinion semble avoir oublié que 3 ans plus tôt, «l’octogénaire» président du PDCI – RDA avait annoncé dans le style emphatique qui est le sien que «2020 s’impose à tout le monde». Personne ne semblait y avoir prêté attention et pourtant c’était le début du divorce entre les alliés Ouattara et Bédié.
Qu’à cela ne tienne, les leçons des «punchlines» de M. Macron sont celles tenues par les dirigeants français depuis le général De Gaulle en passant par les présidents Mitterrand, Chirac, Sarkozy: le discours néo-colonialiste et condescendant sur l’Afrique francophone. Tout en se défendant d’ingérence dans les affaires intérieures des États, les dirigeants français sont à la manœuvre pour faire et défaire les politiques en Afrique, au gré de leurs intérêts.
Pas toujours des intérêts des Français, un peuple mature, intellectuel, articulé rationnel humaniste et solidaire pour une grande partie à qui on cache souvent les déshonorantes turpitudes de leurs dirigeants. N’eut été la cohabitation en 1999 en France, il n’est pas certain que le putsch de Robert Guei contre Bédié aurait été avalisé malgré l’imposante présence de forces militaires françaises en Côte d’Ivoire.
Tout en se défendant d’ingérence dans les affaires intérieures des États, les dirigeants français sont à la manœuvre pour faire et défaire les politiques en Afrique, au gré de leurs intérêts.
L’arrivée d’un Laurent Gbagbo au pouvoir en 2000, n’aurait été actée sans le pouvoir socialiste en France, alors que la majorité des voix et pays au monde réclamaient la reprise des élections, en vue de les rendre plus inclusives. Le parti de M. Gbagbo était membre de l’Internationale socialiste.
M. Macron, qui se dédouanant d’être héritier de la colonisation, avait fait des promesses «populistes» aux jeunes africains, jurant la main sur le cœur que la politique néocoloniale était terminée et qu’entre la France et l’Afrique, ce ne sera désormais qu’un partenariat d’égalité en novembre 2017 à Ouagadougou au Burkina Faso: restitutions des biens culturels pillés ou volés durant la colonisation, extradition de François Compaoré, le frère et commanditaire présumé de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo. Il faut dire que ce jour j’étais triste, car la France un État de droit, sait que le temps de la justice n’est pas celui de l’exécutif, en vertu de la séparation des pouvoirs, mais comme toujours en Afrique, on peut vendre du vent à peu de frais, cela n’engage à rien.
Trois ans plus tard, M. Compaoré vit encore paisiblement dans l’Hexagone. Pour les biens culturels, la restitution de quelques “figurines”, statuettes, “babioles” et autres “bibelots” reste sélective voire symbolique, en tout cas elle bien encadrée par la loi. Pourquoi vider des musées français pour faire plaisir aux Africains?
Enfin, pince sans rire, en décembre 2019, avec son acolyte d’Abidjan, M. Macron annonce la fin du franc CFA en 2020, la fin de la monnaie coloniale en cours en Afrique francophone. Pourquoi c’est au chef d’État français de venir s’immiscer jusque dans la politique monétaire d’États indépendants? Avec la fronde du Nigeria et du Ghana, entre autres, le projet de fin du CFA de M. Macron a échoué. Un projet sous régional, suivant déjà son cycle et ne souhaiterait pas s’arrimer à l’euro de l’Union Européenne.
Nous parlons d’indulgence et d’hypocrisie car à l’origine, ce sont bien les dirigeants et la majorité des Africains francophones qui refusent la «décolonisation». Dans cette partie du continent, on «respire France», on pense France et on n’est presque rien sans l’adoubement de la France.
Pourquoi l’opposition ivoirienne s’adresse-t-elle à la France pour protester contre le troisième mandat de M. Ouattara? Pourquoi tout opposant bon teint francophone d’Afrique cherche t-il une couverture française, même si c’est le dernier des fonctionnaires de la hiérarchie diplomatique acceptera de le rencontrer?
A-t-on jamais entendu un chef d’Etat dire à la face du monde, «nous avons fait pression sur le président Biya»? A-t-on jamais entendu un chef d’État s’adresser à son homologue tel que l’a fait Emmanuel Macron à Ouagadougou en 2017 à Roch Kabore à Ouagadougou?
Comment expliquer que M. Macron suggère à l’Union africaine d’envisager l’immunité aux chefs d’État et à leurs familles pour qu’ils consentent à quitter le pouvoir? Outre la prime à la mauvaise gouvernance, l’impunité pour ces malandrins modernes de vivre aux dépens du pillage des ressources de leurs pays, des tueries, des massacres, des pogroms, voire des génocides. Une idée saugrenue qu’endosse l’esprit d’un dirigeant, d’une démocratie et d’un pays chantre des libertés et de la justice .
Il faudrait donc de l’indulgence dans le jugement du «discours macronien». Malgré son jeune âge et son esprit brillant, M. Macron apparaît de plus en plus comme le chef d’État français qui s’est enfermé, que dis-je, “confiné” dans une époque révolue.
Il n’y a eu, il n’y aura pas de sentiments ni de velléités anti français en Afrique si les dirigeants français arrêtent de faire une politique en Afrique au détriment des Africains. L’Afrique est entrain de changer et les Africains n’ont pas besoin des Turcs, Russes ou Chinois pour exprimer leur ras-le-bol.
Crédit photo : La Croix
Journaliste, Sylvain Felix Semilinko est l’ancien directeur de BBC Afrique et de la radio des Nation unies en Côte d’Ivoire.