Auteurs : Andrew Cherry et Daan du Toit
Organisation affiliée : IRD Editions
Type de publication : Réflexion critique
Année de publication : 2018
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La tenue du cinquième Sommet Afrique-Union européenne (UE) des chefs d’État et de gouvernement en novembre 2017 à Abidjan offre l’occasion de réfléchir sur les réalisations de la coopération bi-régionale entre l’Afrique et l’Europe en matière de science, technologie et innovation (STI) au cours de la dernière décennie. Dans le présent chapitre, la coopération bi-régionale se rapporte aux partenariats politiques et opérationnels en matière de STI et dans les domaines connexes relevant de la Stratégie conjointe Afrique-UE (Joint Africa-European Union Strategy, ci-après référée sous son acronyme anglais JAES), un cadre politique adopté lors du deuxième Sommet Afrique-UE en 2007 à Lisbonne.
Ce chapitre ne traite donc pas du paysage général, varié et ancien des partenariats scientifiques entre les deux continents, qui, du fait de sa complexité et de son étendue, serait difficile à évaluer efficacement. Il se base sur une composante relativement récente et à part de ce paysage né de la JAES.
Contexte politique de la coopération bi-régionale
Vers des partenariats d’égal à égal
Le contexte politique des relations Afrique-Europe en 2007 a témoigné de l’accélération de changements significatifs dans les relations traditionnelles entre l’Europe et ses anciennes colonies qui ont prévalu pendant la deuxième moitié du XXe siècle. Ces années ont été marquées par la Convention de Lomé et, par la suite, par les dispenses de l’Accord de partenariat de Cotonou, principalement axés sur l’aide européenne au développement octroyée aux pays d’Afrique subsaharienne et sur l’accès préférentiel aux marchés européens accordé aux pays en développement.
En 2007, les débats sur les « Accords de partenariat économique » entre l’Europe et les différentes régions d’Afrique battaient leur plein, préparant la voie à une relation accordant plus d’importance à la réciprocité dans les engagements africains et européens, notamment en ce qui concerne les échanges commerciaux, avec un accent particulier mis sur des valeurs telles que la copropriété et la co-responsabilité.
En 2007, l’Afrique était représentée par une Union africaine encore relativement jeune, créée en 2001 et avec pour objectif général la coopération et l’intégration au niveau continental. Le développement d’un partenariat UA-UE inter-institutionnel et trans-sectoriel a été largement déterminé par le Sommet de Lisbonne en 2007. Le premier Sommet Afrique-Europe du Caire en 2000 n’avait pas été significatif en termes de développement d’un partenariat global, à la différence de ce second sommet en 2007.
Bien qu’il y eût eu des contacts entre l’UE et le prédécesseur de l’UA, l’Organisation de l’unité africaine, ceux-ci étaient largement établis dans le contexte post-colonial de la deuxième moitié du XXe siècle. En 2007, la Commission européenne (CE) a trouvé en la Commission de l’UA (CUA) un partenaire solide pour établir un nouveau partenariat stratégique. Les efforts visant la promotion et la consolidation d’un partenariat bi-régional en matière de STI auront joué un rôle important dans le renforcement des nouvelles relations institutionnelles entre les deux Unions (et leurs deux Commissions).
Consensus mondial sur la STI pour le développement
En convenant, en 2007, d’inclure un volet se rapportant à la STI dans leur nouveau partenariat, les dirigeants africains et européens se sont alignés sur un nouveau consensus sur le rôle la science pour le développement. Le Sommet mondial de 2002 sur le Développement durable avait explicitement reconnu dans son Plan de mise en œuvre de Johannesbourg que la science doit être un instrument de développement, et non une récompense pour celui-ci. La première décennie du XXIe siècle a connu d’intenses activités au niveau de l’élaboration des politiques, et particulièrement au niveau des instances internationales à l’instar du G8, de l’OCDE, de l’UNESCO ou de la Banque mondiale, concernant les moyens à mettre en œuvre pour une meilleure exploitation des STI pour le développement.
En adoptant la JAES, le Sommet de Lisbonne a structuré la coopération Afrique-UE à travers divers partenariats, les STI étant regroupées avec les technologies de l’information et de la communication (ou la société de l’information) ainsi qu’avec les questions spatiales dans ce qui est connu sous le nom de 8e Partenariat. Le contexte des politiques stratégiques dans lequel s’inscrit ce modèle est caractérisé par une attention particulière portée à la politique de développement concernant la réduction du fossé numérique, notamment suite au Sommet mondial sur la société de l’information tenu en 2003 et en 2005, et pour lequel l’UE a joué un rôle important.
Le rôle que joue l’Europe comme fournisseur historique de technologies et services spatiaux aux pays africains, les efforts déployés pour fournir au continent africain des produits d’informations et de données depuis des plateformes d’observation de la Terre, et les ambitions visant à préserver et à étendre ce rôle ont davantage cimenté l’inclusion des enjeux spatiaux dans ce cadre.
En convenant, en 2007, d’inclure un volet se rapportant à la STI dans leur nouveau partenariat, les dirigeants africains et européens se sont alignés sur un nouveau consensus sur le rôle la science pour le développement. Le Sommet mondial de 2002 sur le Développement durable avait explicitement reconnu dans son Plan de mise en œuvre de Johannesbourg que la science doit être un instrument de développement, et non une récompense pour celui-ci
Le Sommet des chefs d’État et de Gouvernement de Lisbonne, qui a eu lieu 2007, ne doit pas être confondu avec la signature, la même année, de l’accord du Traité de Lisbonne qui modifie la base constitutionnelle initiale de l’UE. Ce Traité est particulièrement pertinent pour notre analyse en raison de l’inclusion dans les articles du traité de l’objectif de renforcement des bases scientifiques et technologiques de l’UE vers un Espace européen de la recherche.
La reconnaissance explicite de la nécessité du renforcement et de l’intégration continus de la base scientifique et technologique en Europe, bien que ce soit pour la compétitivité économique et industrielle, a été un argument solide pour l’inclusion dans la JAES d’un engagement équivalent dans les domaines de la science et de la technologie. Ce qui est essentiel pour l’Europe doit être tout aussi essentiel pour l’Afrique et pour les nouvelles relations politiques Afrique-Europe accrues dans la JAES.
Évolution de la coopération Afrique-UE dans le domaine de la recherche pour le développement
Au moment du lancement de la JAES, le milieu de la recherche au service du développement, malgré le large soutien politique pour ce programme, venait d’entamer une procédure de coopération dans le cadre du Septième Programme-cadre de l’UE (7e PC) pour la recherche et l’innovation lancé peu de temps avant. Les PC précédents comprenaient, avec un certain succès, des activités spéciales destinées au financement de la coopération dans le domaine de la recherche sur le développement entre les chercheurs européens et leurs partenaires des pays en développement (notamment dans les domaines de la santé, l’agriculture et l’environnement).
Toutefois, le 7e PC ne comprenait pas une telle activité spécifique, mais intégrait plutôt la coopération avec les pays en développement à travers tous les thèmes du PC, avec les participants des pays en développement toujours admissibles au financement de l’UE. Les avis ont été partagés à l’égard du succès que cette nouvelle approche pouvait présenter.
Comme en témoigne l’inclusion des STI dans un partenariat dédié à la société de l’information et de l’espace, l’adoption de la JAES a également symbolisé l’élargissement de la coopération Afrique-UE dans le domaine des sciences à une communauté et un portefeuille plus grands, bien au-delà de l’histoire traditionnelle de la coopération, quoique séculaire et couronnée de succès, dans le domaine de la recherche pour le développement agricole par exemple.
De timides déclarations d’intention ont été faites en ce qui concerne la coopération dans les domaines des technologies émergentes et industrielles, mais la plupart du temps, toujours dans le cadre de la science pour le développement, à l’instar de l’utilisation des nanotechnologies pour la purification de l’eau. Peut-être plus important encore, l’UE a déclaré son intention d’initier un dialogue politique spécial avec l’Afrique sur les STI (comme elle l’avait réalisé avec d’autres régions) et identifié le Conseil ministériel africain sur la science et la technologie (CMAST) de l’époque comme un interlocuteur éventuel pour ce projet. Le premier projet CAAST-Net a dès lors été financé, dans le cadre du 7e PC de l’UE, en vue de la préparation et de l’appui à ce dialogue politique.
Diplomatie scientifique
Bien que ne constituant pas un réel facteur au départ, l’Afrique et l’Europe ont perçu au fil du temps l’intégration des STI dans le cadre de la JAES comme un potentiel à exploiter pour la diplomatie scientifique, le partenariat en matière de STI renforçant les relations bi-régionales à travers son influence dans d’autres sphères politiques. Le contexte sécuritaire mondial, ainsi que le rôle joué par l’Afrique en tant que partenaire de l’Europe dans le secteur de l’espace par exemple, ont également été perçus comme des secteurs pouvant potentiellement bénéficier, du moins du côté européen, des investissements dans la coopération bi-régionale en matière de STI.
Cette contribution concerne la sauvegarde et l’expansion d’un partenariat commercial historique, bien que, comme le montrent sans doute les difficiles négociations des Accords de partenariats économiques (APE) dans les années suivantes, les deux parties ont pu entretenir des ambitions divergentes. Par exemple, l’Afrique est à la recherche d’un plus grand accès au marché agricole européen, et l’Europe cherche à étendre sa présence dans le secteur des services en Afrique.
Au regard de l’importance stratégique et de la domination continue de la coopération dans le secteur du développement comme principal centre d’intérêt des relations Afrique-UE, les deux parties africaine et européenne ont également nourri l’ambition de voir le partenariat bi-régional en matière de STI exercer une influence dans ce domaine.
Du côté africain existait une forte volonté d’utiliser ce partenariat pour contribuer au renforcement des capacités en matière de STI sur le continent. Bien que partagé par l’Europe, ce point de vue était peut-être nuancé par le souhait de voir une nouvelle dimension s’ajouter aux relations historiques de coopération pour le développement entre l’Afrique et l’UE, cette dimension permettant d’assurer une plus grande efficacité et d’avoir une plus grande incidence.
La science en réseau ne connaît pas de frontières
Le partage des ressources, de l’expérience et de l’expertise, en particulier pour faire face à des défis communs, ou pour élaborer des projets scientifiques de pointe, a été considéré au plan historique comme un facteur majeur de la coopération internationale en matière de STI. La mise en commun par l’Afrique et l’Europe de forces et de ressources pour exploiter plus efficacement les connaissances scientifiques en vue de relever les grands défis de la société tels que le changement climatique, la sécurité énergétique et les pandémies, a également constitué l’un des objectifs majeurs de l’engagement de la JAES en faveur de la coopération bi-régionale en matière de STI.
La coopération internationale joue également un rôle crucial dans le développement du capital humain pour les STI. La plupart des pays consacrent des montants importants pour les programmes de formation et de mobilité des chercheurs d’envergure internationale, afin de s’assurer que la prochaine génération de chercheurs soit dotée de réseaux et de perspectives à l’échelle mondiale.
Du point de vue africain, le partenariat bilatéral avait pour objectif d’obtenir précisément cet appui pour le développement du capital humain en Afrique. Il est peu probable que l’investissement dans le partenariat bi-régional ait été un facteur majeur des objectifs de développement du capital humain de l’Europe elle-même, bien que les objectifs publiquement déclarés de la politique européenne visant à faire la promotion de l’Europe comme destination privilégiée des compétences mondiales en recherche s’appliquent également en Afrique.
Élargissement de la base des connaissances
La décennie du partenariat de la JAES dans le domaine de la science correspond à un portefeuille étendu d’initiatives associées en termes de coopération Afrique-UE sur la recherche et l’innovation scientifiques et technologiques, avec un accent particulier sur le développement. Il existe par ailleurs un consensus général, bien que ce soit entre parties intéressées, pour un élargissement de la coopération Afrique-UE en matière de STI relative à la période pré-partenariat.
Bien que la JAES ait prévu de stimuler l’intérêt pour les partenariats dans le domaine de la recherche et de l’innovation, la coopération s’est principalement développée entre institutions d’enseignement supérieur et organisations financées par des fonds publics, le secteur privé ne jouant qu’un rôle limité. Toutefois, les partenariats internationaux en matière d’innovation sont par nature plus difficiles à promouvoir que ceux qui sont plutôt orientés vers la recherche ; cette situation constitue donc un inconvénient qui n’est pas propre à la coopération Afrique-UE.
Évolution des facteurs de la coopération bi-régionale
Lors du Sommet des chefs d’État et de gouvernement à Abidjan, en 2017, l’Afrique et l’Europe vont s’engager de nouveau pour soutenir la JAES et le partenariat bi-régional en matière de STI qu’elle comprend. Il est opportun de se demander si les facteurs qui ont contribué à la coopération en 2007 sont encore applicables et quelle évolution ils ont connue.
Au-delà de 2020 et l’expiration de l’Accord de partenariat de Cotonou, les relations entre l’Europe et le Groupe des États ACP devront changer de manière significative, et la promotion des connaissances grâce à l’économie numérique, la science, la technologie et l’innovation devrait s’ériger en tant qu’objectif spécifique
De profonds changements économiques, politiques, environnementaux et sociaux en Afrique et en Europe, parallèlement aux accords et cadres internationaux répondant à ces changements, y compris le « Programme 2030 » des Nations unies, forment un contexte en pleine évolution pour les relations Afrique-UE, pour la JAES et pour le partenariat trans-sectoriel dans le domaine des STI. L’Afrique et l’Europe ont certainement beaucoup à gagner du renforcement de leurs liens politiques et économiques.
Cependant, les possibilités supplémentaires de coopération bi-régionale offertes à l’Afrique par la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique ou par le Forum sur la Coopération sino-camerounaise (FCSA) modifient la perspective de l’Afrique sur la JAES. En effet, la Chine est un partenaire commercial et d’investissement prédominant de l’Afrique et une analyse plus approfondie pourrait prendre en compte comment la composante STI de la JAES se positionne par rapport à celle du FCSA.
Depuis 2011, avec l’impact accru de la politique de développement de l’UE, dite « Programme de changement », l’approche de l’UE à l’égard de la coopération pour le développement évolue également. Il y aura divers secteurs d’intervention privilégiés et critères d’éligibilité. Si l’ambition en 2007 était de dépasser les relations bailleurs de fonds-bénéficiaires, il est impératif qu’il en soit dorénavant ainsi en 2017. Au-delà de 2020 et l’expiration de l’Accord de partenariat de Cotonou, les relations entre l’Europe et le Groupe des États ACP devront changer de manière significative, et la promotion des connaissances grâce à l’économie numérique, la science, la technologie et l’innovation devrait s’ériger en tant qu’objectif spécifique.
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