Les auteurs
OICS : L’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) est un organe d’experts indépendant et quasi judicaire qui a été établi par la Convention unique sur les stupéfiants de 1961. L’Organe compte treize membres élus par le Conseil Economique et Social des Nations Unies (ECOSOC) pour une période de cinq ans.
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Alors que l’Afrique de l’Ouest continue à jouer un rôle important dans le transit de drogues vers l’Europe, certains pays de la zone WATHI sont également en passe de devenir des zones importantes de consommation. Ce rapport donne un aperçu des récentes évolutions dans la sous-région et propose des recommandations destinées aux Etats.
Nous avons sélectionné ce rapport à cause de l’impact du trafic de drogues sur le degré de violence et d’insécurité en Afrique de l’Ouest, notamment dans des pays comme le Nigeria et le Ghana. Ce trafic conduit à une concentration de richesses dans les mains de groupes criminels lourdement armés. La hausse de la consommation risque également de poser d’importants défis de santé publique en absence de réponse efficace. Pour WATHI, la question des stupéfiants représente un obstacle conséquent au développement économique et social des pays ouest-africains et doit donc être prise au sérieux par les gouvernements de la région.
Parmi les recommandations du rapport, trois pistes d’action devraient faire l’objet d’une attention particulière au sein d’agences nationales anti-drogue mais aussi des responsables politiques à travers l’Afrique de l’Ouest :
- Certaines politiques publiques proposant aux communautés rurales susceptibles de s’engager dans des activités illicites des alternatives viables devraient être mises en place. Ceci inclut la révision des stratégies agricole des pays de la sous-région mais aussi la mise en place de divers projets de rénovation des infrastructures locales.
- Les gouvernements devraient mettre l’accent sur des campagnes de prévention et de sensibilisation sur l’abus de drogues. En parallèle, des programmes visant les personnes souffrant de dépendance, aussi bien en termes de traitement que de réinsertion professionnelle, devraient être promus afin d’éviter toute stigmatisation sociale.
- Les gouvernements ouest-africains devraient redoubler leurs efforts de coopération et d’échange d’information à travers les outils mis en place par l’OICS tels que le Système électronique d’échange de notifications préalables à l’exportation (PEN Online) et le Système de notification des incidents concernant les précurseurs (PICS). Au niveau de la sous-région, l’organisation de réunions fréquentes entre agences nationales dans le but d’échanger des connaissances semble être également une solution.
Extraits choisis du document
Principales observations
Culture, production, fabrication et trafic
La culture, la production, le trafic et l’usage illicites de cannabis demeurent extrêmement problématiques en Afrique. Si la production illicite de résine de cannabis se concentre dans un nombre restreint de pays d’Afrique du Nord, celle d’herbe concerne tout le continent. La production d’herbe de cannabis demeure un sujet de préoccupation au Nigéria, où 158 tonnes d’herbe conditionnée ont été saisies en 2014. Le pays a indiqué avoir saisi et détruit cette année-là plus de 53 millions de kilogrammes de cannabis qui provenait de cultures illicites représentant au total 4 529 ha de terres agricoles, soit la plus vaste superficie signalée depuis 10 ans. Cela représente par ailleurs une augmentation spectaculaire par rapport au chiffre de 2013 (847 ha éradiqués au total).
L’analyse des saisies de cannabis réalisées à l’aéroport international desservant Lagos, où elles ont atteint un total de 94,3 kg en 2014, confirme que le Nigéria est un des pays d’origine du cannabis à destination de la Chine. Dans ce même aéroport, 90,9 kg de cannabis destinés à la Chine et 64,5 kg destinés aux Émirats arabes unis ont été saisis entre janvier et juillet 2015. Au Ghana, 98 kg destinés au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ont été saisis à l’aéroport international de Kotoka, à Accra, en 2014.
En Afrique de l’Ouest, le trafic de cocaïne demeure une préoccupation majeure. La cocaïne en provenance d’Amérique du Sud transite par certains pays de la sous-région avant de rallier l’Europe. Les aéronefs commerciaux sont l’un des modes de transport privilégiés pour ce trafic; l’augmentation du nombre de vols commerciaux entre le Brésil et l’Afrique de l’Ouest n’y est certainement pas étrangère. Selon les données fournies par le Service nigérian de détection et de répression des infractions liées à la drogue concernant les interceptions réalisées à l’aéroport international desservant Lagos, 120 kg de cocaïne à peu près y ont été saisis au total en 2014.
Les autorités togolaises ont saisi environ 268 kg de cocaïne en 2014. Depuis décembre 2013, date à laquelle ont eu lieu les premiers vols directs pour le Brésil, le volume de cocaïne saisi à l’aéroport international de Lomé a augmenté, pour atteindre 221 kg en 2014. Cette même année, 32 envois de cocaïne ont été saisis à l’aéroport international de Lomé, où ils étaient arrivés par des vols en provenance du Brésil; 25 % étaient destinés au Nigéria, 22 % au Bénin, 16 % au Togo et 13 % à la Guinée-Bissau.
Le Maroc a également observé l’apparition d’un trafic de cocaïne utilisant des vols commerciaux en provenance du Brésil. En 2014, 570 kg de cocaïne ont été saisis au Maroc. Le Cap-Vert continue de servir de plaque tournante aux groupes criminels organisés se livrant au trafic de cocaïne. Les autorités du pays ont signalé en novembre 2014 la saisie de 521 kg de cocaïne; par ailleurs, l’interception par la marine espagnole d’une cargaison de 1 500 kg de cocaïne dans l’océan Atlantique, à 129 km à l’ouest du Cap-Vert, a été signalée en janvier 2015.
L’Afrique de l’Ouest semble être devenue une source établie de méthamphétamine introduite clandestinement en Asie de l’Est et du Sud-Est via l’Afrique du Sud ou l’Europe. Selon les informations fournies par l’ONUDC, l’important volume de stimulants de type amphétamine saisi en Afrique de l’Ouest au cours des 12 derniers mois pourrait traduire une augmentation de la fabrication et du trafic illicites de ces substances, en particulier de méthamphétamine.
Au total, 10 laboratoires clandestins de fabrication de méthamphétamine ont été démantelés au Nigéria entre 2011 et juillet 2015. En mai 2015, les autorités nigérianes ont démantelé deux installations qui servaient à la fabrication illicite de méthamphétamine dans l’État d’Anambra. Entre janvier et juillet 2015, elles ont effectué à l’aéroport international desservant Lagos quatre saisies de cette substance, totalisant approximativement 92 kg. Trois de ces saisies portaient sur des quantités minimes, mais la quatrième atteignait pas moins de 91 kg environ. En outre, les autorités nigérianes ont déclaré avoir découvert 2,6 kg de méthamphétamine liquide et 250 g de méthamphétamine sous forme cristalline, ainsi que du matériel de laboratoire servant à la fabrication illicite de méthamphétamine.
Les autorités sénégalaises ont signalé d’importantes saisies de stimulants de type amphétamine, notamment celle de 30 kg de méthamphétamine à Kidira, près de la frontière malienne, en janvier 2015, suivie d’une autre de 82 kg à Koumpentoum, en février 2015. Dans les deux cas, les drogues provenaient du Mali et avaient été acheminées en contrebande depuis Bamako.
Jusqu’à ces dernières années, l’Afrique de l’Ouest ne jouait pas un rôle très important sur le marché des drogues synthétiques. Le revirement de situation auquel on assiste, qui s’inscrit dans le cadre d’une augmentation globale de la demande illicite de stimulants de type amphétamine dans le monde, peut s’expliquer par l’insuffisance des contrôles portant sur les importations légales de leurs précurseurs et par la situation socioéconomique de la sous-région.
Les pays d’Afrique restent vulnérables au trafic de précurseurs chimiques, notamment en tant que pays de destination ou de transit. Les principaux précurseurs concernés sont l’éphédrine et la pseudoéphédrine, substances utilisées dans la fabrication illicite de stimulants de type amphétamine. Selon les informations fournies au moyen du Système de notification des incidents concernant les précurseurs (PICS), les pays africains ci-après ont été concernés par des incidents signalés entre novembre 2014 et novembre 2015: Afrique du Sud, Éthiopie, Malawi, Mozambique, Nigéria, République démocratique du Congo, Seychelles et Zimbabwe.
En mai 2015, les autorités nigérianes ont démantelé au moins trois laboratoires clandestins dans le sud-est du Nigéria, où elles ont découvert du toluène, une substance du Tableau II de la Convention de 1988 couramment utilisée comme solvant. Il semblerait que les précurseurs aient été obtenus localement, auprès de circuits de distribution nationaux, après avoir été importés légalement.
Un autre problème a fait son apparition en Afrique: les ventes en ligne de drogues placées sous contrôle (vente sur le cybermarché par Internet). Avec l’augmentation du trafic par Internet, il est plus difficile pour les services de détection et de répression d’identifier les propriétaires et utilisateurs de sites Web se livrant au trafic de précurseurs chimiques.
Certains pays africains demeurent préoccupés par l’abus de substances qui ne sont pas placées sous contrôle international, à savoir la kétamine et le tramadol. Le Nigéria, où la kétamine est couramment utilisée comme anesthésiant en médecine humaine et vétérinaire, a placé le tramadol et la kétamine sous contrôle national en 2010. L’abus et le trafic de tramadol, opioïde synthétique non soumis au contrôle international, reste problématique pour un certain nombre de pays africains, notamment en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest. En 2014, plus de 43 578 kg de tramadol ont été saisis par les services mixtes de contrôle portuaire de Cotonou (Bénin) et Tema (Ghana). En février 2015, le service de Cotonou a saisi 13 612 kg de tramadol en provenance d’Inde et à destination du Niger.
Abus et traitement
En dépit de l’insuffisance de données sur l’abus de drogues en Afrique, on estime que la prévalence annuelle de l’usage de cannabis y demeure élevée (7,5 % des personnes âgées de 15 à 64 ans), à un niveau représentant près du double de la moyenne mondiale (3,9 %), et qu’elle est particulièrement forte en Afrique de l’Ouest et du Centre (12,4 %). En Afrique, le cannabis serait la principale substance à l’origine des demandes de traitement de la toxicomanie.
Selon les données sur les demandes de traitement, l’héroïne reste la deuxième des drogues les plus consommées en Afrique (après le cannabis). La prévalence annuelle de l’abus d’opiacés dans la région est estimée à 0,3 % de la population âgée de 15 à 64 ans (soit environ 1,88 million d’individus).
La prévalence annuelle de l’usage de cocaïne en Afrique, estimée à 0,4 %, reste du même ordre que celle qui vaut pour le monde entier.
En Afrique de l’Ouest, il est possible que la disponibilité accrue de la cocaïne, de l’héroïne et des stimulants de type amphétamine ait entraîné une augmentation de l’abus de drogues et de la dépendance. Cette évolution est à mettre au compte de l’apparition de centres illicites de production et de distribution de drogues synthétiques en Côte d’Ivoire, en Guinée et au Nigéria.
Bien que la prévention et le traitement de l’abus de drogues soient l’objet de dispositions parmi les plus importantes des traités internationaux de lutte contre la drogue, on estime que, chaque année en Afrique, seule 1 personne sur 18 souffrant de troubles liés à l’usage de drogues ou de dépendance à la drogue bénéficie d’un traitement, et qu’une grande proportion d’usagers de drogues peuvent nécessiter une intervention sans pour autant être dépendants.
Le Gouvernement sénégalais a amélioré la disponibilité et l’accessibilité des services de traitement et de prise en charge de la dépendance à la drogue fondés sur des traitements qui ont fait leurs preuves en ouvrant, en décembre 2014, le Centre de prise en charge intégrée des addictions de Dakar. Installé dans les locaux de l’hôpital universitaire de la ville, le Centre propose également un programme d’entretien à la méthadone, des services de traitement de la dépendance à la drogue, des programmes de sensibilisation et des programmes de traitement de l’infection à VIH et des hépatites s’adressant aux usagers de drogues.
Le Cap-Vert expérimente à l’intention des usagers de drogues un “guichet unique”, c’est-à-dire un centre proposant, dans un quartier vulnérable de la capitale, Praia, divers services de traitement de la toxicomanie en privilégiant une méthode de traitement dans le cadre de vie normal.
Législation, politique et action nationale à l’échelle nationale
En 2014, l’Égypte, le Ghana et le Nigéria ont pris des mesures en vue de renforcer leur législation nationale et leurs capacités en matière de lutte contre le trafic de drogues, y compris de nouvelles substances psychoactives. Au Ghana, les autorités ont élargi le champ de leurs opérations de surveillance pour y inclure les sites Web qui vendent des substances psychoactives.
Le Parlement examine actuellement des amendements à la loi du Conseil provisoire de défense nationale qui doivent permettre de renforcer les sanctions liées aux substances psychotropes synthétiques, comme la méthamphétamine et ses dérivés, et d’adopter un texte visant à transformer l’Organe de contrôle des stupéfiants, qui relève du Ministère de l’intérieur, en une commission de lutte antidrogue qui relèverait du Président et serait habilitée à mener des poursuites.
Le Gouvernement du Nigéria a approuvé son troisième plan directeur national de lutte contre la drogue, pour la période 2015-2019. Ce nouveau plan, qui a été annoncé le 26 juin 2015, constitue un cadre pour la réduction des dommages causés par les drogues et pour la répression de la production, de l’offre et du trafic illicites, ainsi qu’une plate-forme pour le renforcement des mesures de lutte contre la drogue.
Élaboré par le comité interministériel pour la lutte antidrogue, il comprend quatre volets: a) détection et répression; b) réduction de la demande de drogues; c) accès aux stupéfiants et substances psychotropes utilisés à des fins médicales et scientifiques et contrôle de ces substances; et d) coordination de la mise en œuvre.
Recommandations
1) Les États devraient promouvoir des programmes offrant d’autres moyens de subsistance afin d’aider les communautés et de proposer aux agriculteurs pratiquant la culture illicite de plantes servant à fabriquer des drogues des activités génératrices de revenus licites et durables afin de réduire et d’éliminer leur dépendance à l’égard des revenus tirés des cultures illicites. Ces programmes prévoient, entre autres, des services relatifs à la santé, à l’éducation, à l’infrastructure, au développement local et à la sécurité.
2) La prévention de l’abus de drogues dans l’ensemble de la société, en particulier chez les jeunes, doit demeurer l’objectif premier de l’action des pouvoirs publics. Cette action ne se limite pas aux politiques centrées sur les drogues: tout élément renforçant la cohésion sociale et la capacité des personnes à l’autodétermination et à la résilience peut faire reculer la prévalence de l’usage problématique de drogues. La réduction des effets néfastes de l’abus de drogues sur la santé et la société est un aspect essentiel de toute stratégie globale de réduction de la demande.
Les États doivent apporter aux personnes touchées par l’abus de drogues une aide efficace et digne, qui comprenne un traitement médicalement adapté et reposant sur des preuves scientifiques. Les États doivent veiller à ce que les sanctions applicables aux infractions pénales liées à la drogue soient proportionnées, et, lorsque de tels actes sont commis par des usagers de drogues, envisager d’autres solutions que la condamnation et la sanction pénale, comme le prévoient les traités, par exemple les mesures de traitement, d’éducation, de postcure, de réadaptation et de réinsertion sociale.
3) Depuis l’entrée en vigueur de la Convention de 1988, les États sont parvenus à réduire considérablement le détournement des substances inscrites aux Tableaux de la Convention du commerce international vers la fabrication illicite de drogues. Pour faciliter la surveillance du commerce licite de précurseurs et pour prévenir leur détournement vers des circuits illicites, l’OICS a mis au point des outils électroniques tels que le Système électronique d’échange de notifications préalables à l’exportation (PEN Online) et le Système de notification des incidents concernant les précurseurs (PICS). Tous les gouvernements sont invités à utiliser les systèmes PEN Online et PICS en vue d’améliorer la surveillance du commerce international de précurseurs et d’échanger des renseignements sur les activités illicites connexes en temps réel.
4) L’OICS encourage tous les gouvernements à agir sur la base des résolutions pertinentes de la Commission des stupéfiants et du Conseil économique et social, ainsi que des expériences acquises dans les régions et dans différents États Membres, et à mettre à profit la session extraordinaire de l’Assemblée générale en 2016 pour explorer et concevoir des mesures réglementaires pratiques et réalistes qui permettraient de protéger les personnes et la population dans son ensemble des incidences néfastes des nouvelles substances psychoactives. En outre, il prie instamment tous les gouvernements d’utiliser pleinement le réseau mondial de points focaux constitué dans le cadre du Projet “ION” et la plate-forme de notification des incidents correspondante IONICS, qui ont été constitués pour favoriser la coopération opérationnelle entre les gouvernements afin d’éviter que les nouvelles substances psychoactives se retrouvent sur les marchés de consommation. Il réaffirme également l’importance de la prévention primaire pour résoudre le problème posé par les nouvelles substances psychoactives.
5) Alors que l’Afrique de l’Ouest est généralement utilisée pour le trafic de drogues comme la cocaïne vers l’Europe, la sous-région a également été identifiée comme une source de stimulants de type amphétamine. En outre, l’Afrique de l’Est est une zone de transit de plus en plus importante pour l’héroïne en provenance de l’Afghanistan. L’évolution récente de la situation sur le continent s’accompagne d’une augmentation de la consommation nationale de drogues dans certains pays, en particulier chez les jeunes. L’OICS demande aux gouvernements de renforcer la coopération régionale et l’échange d’informations afin de déterminer les itinéraires, nouveaux ou anciens, empruntés par les trafiquants, d’accroître la sécurité dans la région et de lutter contre l’augmentation de l’abus de drogues.
6) L’OICS recommande que les gouvernements de la région mettent en œuvre des mécanismes de prévention destinés à dissuader les individus de prendre des drogues par injection. Il faut également mettre en place des centres de traitement pour les personnes atteintes de maladies liées aux drogues, ainsi que des programmes complets de réadaptation destinés à faciliter l’arrêt de l’abus de drogues, le rétablissement et la réinsertion sociale des toxicomanes.
Photo: theguardian.com