Auteurs: Ruben de Koning, Albert Barume, Aurélien Llorca, Carolina Reyes
Le Groupe d’experts du Conseil de sécurité des Nations Unies sur le Mali, créé en application de la résolution 2374 (2017) est composé de quatre membres qui travaillent depuis leur lieu de résidence. Le Groupe d’experts est placé sous l’autorité du Comité des sanctions concernant le Mali et ses membres sont désignés par le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies en consultation avec le Comité.
Date de publication Août 2019
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Site de l’organisation : Nations unies
Le Groupe d’experts en appui au Comité des sanctions concernant le Mali a présenté le 26 Juillet 2019 l’exposé de son rapport final. Ce document aborde la situation au Mali sous ses différentes dimensions (criminalité, trafic de stupéfiants, trafic de personnes, commerce illicite, respect des droits humains…), en fournissant des données précises et en désignant les personnalités qui seraient responsables de la dégradation de la situation au Mali et dans la région.
Les auteurs font un état des lieux de l’évolution de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali en désignant les points et les parties qui constituent un obstacle à sa mise en œuvre effective. En dépit des engagements qu’elles avaient pris à la suite de la réélection du Président Ibrahim Boubacar Keita en août 2018, les parties signataires de l’Accord de 2015 pour la paix et la réconciliation au Mali n’en ont pas accéléré la mise en œuvre.
On assiste généralement dans l’ensemble du Sahel à la multiplication d’attaques violentes menées par des groupes djihadistes et des groupes criminels associés, dressant les populations locales les unes contre les autres. Au-delà de l’aspect sécuritaire, cette situation a un impact élevé sur la situation humanitaire au Mali et dans la région, notamment au Burkina Faso et au Niger qui sont les plus touchés par les attaques fréquentes au Mali .
Nous avons choisi de faire connaître ce rapport du groupe d’experts parce qu’il résulte de travaux de recherche, d’informations et d’analyses approfondis. Il propose un état des lieux détaillé de la situation politique et sécuritaire au Mali sans éluder les questions les plus sensibles comme la jonction entre certains groupes armés signataires de l’accord de paix et des groupes terroristes ou des trafiquants de drogue qui contribuent à accroitre l’insécurité dans le pays et dans la région. Ce type de document ne devrait pas être réservé aux seuls experts des questions de sécurité car il peut permettre aux citoyens ouest-africains de mieux saisir la complexité de la situation.
Les pays de la région s’inquiètent de plus en plus des liens qui se tissent entre groupes terroristes, et entre ces derniers et des groupes impliqués dans l’économie criminelle organisée. Cette situation crée les conditions d’une plus grande déstabilisation de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel. A cela s’ajoutent les mouvements incontrôlés de migrants ou de personnes en quête simplement d’une meilleure situation financière que l’on retrouve notamment dans le secteur de l’extraction minière artisanale, en pleine expansion. Ainsi, pour permettre au Conseil de sécurité et aux États de mener des actions durables pouvant faire face à cette situation, le Groupe d’experts énonce plusieurs recommandations.
Il faut que Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 2374 (2017) concernant le Mali:
- Encourage l’Union économique et monétaire ouest-africaine à insérer dans toute future directive relative à la traçabilité du tabac une définition des actes et infractions punissables (dans l’esprit de l’article 14 du Protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac), y compris le transit et la réexportation de produits du tabac en infraction à la réglementation du pays de destination (dans le droit fil des décrets adoptés au Bénin, au Burkina Faso, au Niger et au Togo en 2016 et 2017 ), ainsi que des mesures visant à éliminer le commerce illicite (dans l’esprit de l’article 15 de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac).
- Encourage la Force conjointe du Groupe de cinq pays du Sahel à s’acquitter de son mandat de lutte contre la criminalité transnationale organisée en favorisant les enquêtes transfrontières conjointes et en rapprochant l’action de police spécialisée du déploiement de forces, afin de permettre la saisie de marchandises de contrebande et l’arrestation de toutes personnes impliquées dans les trafics, y compris la traite d’êtres humains.
- Exhorte le Comité de suivi de l’Accord à continuer de dresser constat de toutes entraves à l’accès et de veiller à la sécurité du personnel humanitaire dans les zones contrôlées par les groupes armés coopérant à l’application de l’Accord et d’examiner la problématique de la pratique consistant pour ces groupes à imposer aux organisations humanitaires des prestataires de services de logistique et de transport.
- Encourage la CEDEAO à étoffer son projet de directive relative à la traçabilité du tabac en y définissant les actes et infractions punissables (à l’exemple de l’article 14 du Protocole de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac), en visant dans la définition des actes illicites le transit et la réexportation de produits du tabac en infraction à la réglementation du pays de destination (dans le droit fil des décrets adoptés au Bénin, au Burkina Faso, au Niger et au Togo en 2016 et 2017 ), et en y envisageant des mesures visant à éliminer le commerce illicite (à l’exemple de l’article 15 de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac).
Les extraits suivants proviennent des pages : 6 – 7, 10 – 13, 19 – 21, 27 – 30, 31 – 35, 39 – 40, 50 – 51
Accord pour la paix et la réconciliation au Mali : violations constatées, obstacles rencontrés et progrès accomplis
Violation du cessez-le-feu
Le Groupe d’experts estime que, sans être signataire de l’Accord, le fait que le Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA) soit reconnu comme groupe armé coopérant à son application implique qu’il en respecte de fait l’ensemble des dispositions et des règles fixées par la Commission technique. Par la suite, les deux attaques perpétrées l’une par le MSA contre la CMA, le 3 mai 2019 et l’autre par la CMA contre le MSA, le 15 mai 2019, signalées à la Commission technique par les équipes mixtes d’observation et de vérification le 6 juin 2019, de même que celle perpétrée le 24 juin 2019 à Agar-n-Adamous par la CMA contre le MSA, signalée le 5 juillet 2019, doivent être considérées comme des violations du cessez-le-feu et portées à l’attention du Comité de suivi de l’Accord.
Les forces internationales considèrent que jusqu’à la fin de 2018, la CMA à Kidal avait eu l’intention de se conformer aux règles édictées par la Commission technique concernant les mouvements de convois de plus de cinq véhicules et le transport d’armes collectives; la situation a toutefois changé depuis janvier 2019 à la suite de la montée des tensions à Talataye.
Au mois de mai 2019, les forces internationales ont constaté plusieurs violations des règles de la Commission technique, liées à des mouvements non autorisés de véhicules entrant ou sortant de la ville de Kidal, parfois au lever du jour.
Malgré ce revirement, les forces internationales n’ont pas encore mis en place de dispositif centralisé de constatation et d’enregistrement d’informations relatives aux violations du cessez-le-feu, et n’ont pas non plus systématiquement dénoncé ces faits à la Commission technique de sécurité. De plus, à la connaissance du Groupe d’experts, il n’existe de mécanisme de surveillance des violations ni à Gao ni à Tombouctou.
Désaccords entravant la mise en œuvre de l’Accord
- Retrait de la CMA des consultations entre parties maliennes
Le 15 mars 2019, la CMA suspendait sa participation au cadre de consultations entre parties maliennes dont le Ministre Lassine Bouaré avait pris l’initiative dès sa nomination, en septembre 2018, afin de renforcer l’appropriation nationale de l’Accord et d’en accélérer la mise en œuvre. La CMA protestait ainsi contre l’adoption par le Gouvernement, le 8 mars 2019, de deux décrets autorisant la création de forces spéciales devant être déployées dans le cadre de l’opération « Dambé » l’objectif étant de reprendre le contrôle militaire de zones des régions de Ségou, Mopti, Tombouctou, Gao, Kidal, Taoudenni et Ménaka . Comme elle l’avait déjà fait valoir au sujet de l’opération « Koufra », en 2018, la CMA voit dans un tel déploiement de forces une violation de l’Accord car intervenant avant la reconstitution des forces armées.
- Rivalités internes à la Plateforme
Pour ce qui est de la Plateforme, les rivalités internes au Mouvement arabe de l’Azawad (MMA) sont venues perturber les réunions du Comité de suivi de l’Accord, et longuement retarder le processus accéléré de désarmement, démobilisation et réintégration et d’intégration dans l’armée (voir par. 45). Ces rivalités réduisent également les capacités de la Plateforme, en tant que coalition, à mettre en œuvre l’Accord.
Le 25 janvier 2019, le Secrétaire général du MAA-Plateforme, basé à Nouakchott, désigne dans une lettre confidentielle Hanoune Ould Ali Mahari pour le représenter au Comité de suivi de l’Accord en cas d’absence. Le 1er février 2019, le Secrétaire général du MAA-Plateforme s’est ensuite désigné lui-même nouveau représentant du Mouvement auprès du Comité, se substituant à Moulaye Ahmed Ould Moulaye, qui contestera cette décision, étant soutenu en cela par les groupes locaux du MAA-Plateforme de la région de Tombouctou.
Au cours des mois de février, mars et avril 2019, ce différend a mis en mal le fonctionnement du Comité de suivi de l’Accord et le processus d’intégration du Mécanisme opérationnel de coordination. À la session d’avril du Comité de suivi de l’accord, le Président du Comité tranchera en confirmant la décision du Secrétaire général du MAA-Plateforme et en priant Ould Moulaye de quitter ses fonctions. Dénonçant la décision du Comité, Fahad Ag Almahmoud, Secrétaire général du Groupe d’autodéfense des Touaregs Imghad et leurs alliés (GATIA), suspendra le même jour, à savoir le 15 avril 2019, la participation de son groupe au processus accéléré de désarmement, démobilisation et réintégration jusqu’à ce que la question soit éclaircie.
- Montée du mécontentement vis-à-vis de l’Accord
L’Accord est de plus en plus largement mal vu, y compris au sein des institutions maliennes. Un article publié en ligne le 20 février 2019 faisait état de l’hostilité des Forces armées maliennes envers la réintégration d’anciens rebelles dans les rangs de l’armée et au sein d’autres services publics. En février 2019, 18 ex-déserteurs ont quitté l’école de gendarmerie de Faladié où ils étaient installés, les autres soldats voyant en eux des traîtres, leur faisant subir des humiliations. Le Groupe d’experts a reçu des récits venant confirmer la montée du ressentiment des forces maliennes de défense et de sécurité à l’égard de la réintégration d’éléments de mouvements armés dans l’armée nationale et la fonction publique.
Les groupes armés coopérant à la mise en œuvre de l’Accord ont indirectement exacerbé des critiques contre l’Accord, comme l’illustrent les articles parus dans les médias à la suite de l’adoption par la CMA, le 30 janvier, d’une décision régissant le séjour des étrangers, la vente de boissons alcoolisées et l’administration de la justice à Kidal. Un journal malien a ainsi titré à la une : « La CMA s’arroge les prérogatives du Gouvernement malien : la libération de Kidal passe inévitablement par la guerre ». Plusieurs personnalités, dont le Président du Comité de suivi de l’Accord, ont jugé cette décision excessive à certains égards et contraire à l’Accord.
Dans le discours qu’il a prononcé le 20 juin 2019 à l’occasion du quatrième anniversaire de l’Accord, le Président Keïta, reconnaissant le problème né du mécontentement croissant que l’Accord inspirait à la population, a demandé à tous les Maliens de cesser de traiter en ennemis les partenaires qui avaient tendu la main au pays, s’évertuant à les convaincre que l’Accord n’avait rien d’anti-malien.
Réconciliation, justice et questions humanitaires
Dans son rapport à mi-parcours de 2019, le Groupe d’experts a souligné les critiques adressées par des organisations de défense des droits de la personne et de la société civile au texte du projet de loi relative à la réconciliation nationale présenté par le Gouvernement qui sera retiré pour réexamen. Les 18 et 19 mars 2019, l’Assemblée nationale a organisé avec la participation de diverses organisations de défense des droits de la personne et organisations de la société civile un atelier qui se voulait l’occasion d’examiner le texte du projet de loi, afin de voir comment procéder pour le mettre en conformité avec les normes du droit international des droits de l’homme. Au moment de la rédaction du présent rapport, l’Assemblée nationale était encore saisie du projet de loi.
Les travaux de la Commission vérité, justice et réconciliation constituent l’un des domaines où l’on a enregistré le plus de progrès concernant le volet justice transitionnelle de l’Accord . Instituée par décret présidentiel en janvier 2014 au lendemain du coup d’État et de l’éclatement du conflit dans le nord, la Commission que les parties se sont engagées à rendre opérationnelle dans l’Accord de 2015, ne verra le jour qu’en janvier 2016 à cause d’entraves d’ordre logistique et administratif.
À la date du présent rapport, la Commission avait recueilli plus de 10 000 témoignages en moins de trois ans de travail et ouvert des antennes dans toutes les régions entrant dans son domaine de compétence. Toutefois, les membres de la Commission se sont heurtés à de sérieuses difficultés, imputables principalement aux agents du Ministère de la cohésion sociale, de la paix et de la réconciliation nationale.
Groupes armés
Depuis la signature de l’Accord en 2015, la prolifération de groupes dissidents (qui affaiblit le MNLA principalement) a en partie fait que les groupes armés signataires n’ont cessé de perdre du terrain au profit des groupes terroristes, en dépit des premiers sérieux revers essuyés par ces derniers face aux forces françaises. Les groupes armés terroristes continuent ainsi de mener à bien leur stratégie d’expansion, axée tout d’abord sur le regroupement de leurs forces au sein du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM), sur la collusion avec des groupes armés considérés comme coopérant à la mise en œuvre de l’Accord, et en ayant ouvert, par divers acteurs interposés, un nouveau front dans le centre du Mali et dans les pays limitrophes, détournant ainsi les moyens et l’attention de la communauté et des forces armées internationales.
- Conflit interne à la communauté arabe
La communauté arabe du nord du Mali est traversée de lignes de fracture d’ordre ethnique (Bérabiche, Kounta et Tilemsi), mais également politique et commerciale et en fonction d’alliances intertribales. La communauté bérabiche, qui vit de longue date dans les régions de Tombouctou et de Taoudenni, dominait les routes commerciales reliant ces contrées à l’Algérie, le Maroc et la Mauritanie, et les caravanes de sel des mines de Taoudenni.
Par contre, installés plus récemment dans le nord de la région de Gao, les Arabes de la vallée du Tilemsi ont eu un accès plus limité à l’éducation et la fonction publique. Se livrant à la contrebande (à l’origine de marchandises subventionnées, lahda) les Arabes du Tilemsi ont peu à peu gagné en autonomie et pu s’imposer comme fractions distinctes, à l’instar des Lemhar, et de se soustraire à l’autorité des Kounta, tribu maraboutique dont ils étaient historiquement les vassaux.
- Dynamiques dans la région de Kidal
Parallèlement aux pourparlers de Bamako sur le directoire, le HCUA et la famille Ag Intalla ont assis leur emprise sur toute la région de Kidal et sa capitale, sur fond d’assassinats ciblés, notamment de notables de la ville de Kidal, perpétrés pour certains en 2018 en pleine journée Le HCUA a consolidé son pouvoir principalement aux dépens du MNLA de Bilal Ag Cherif, dont l’ancien homme fort, Mohamed Ag Najim, n’occupe désormais plus qu’une position essentiellement symbolique à la tête du conseil de sécurité et militaire de la CMA.
Seules quelques institutions, comme le Comité de sécurité mixte de l’Azawad à Kidal, aujourd’hui dirigé par Habib Ag Babahmed, demeurent en partie aux mains du MNLA. Ansar Eddine a de nouveau, début 2019, proféré des menaces de mort contre des membres du MNLA, tandis que Sidi Mohamed Ag Ichraf, gouverneur Imghad de Kidal, a été personnellement visé dans un autre message audio diffusé en septembre 2018.
Le renforcement de l’appareil de sécurité de la CMA a également pour toile de fond l’essor économique né de la ruée vers l’or dans la région, de nombreux sites étant exploités dans l’anarchie quasi-totale par des centaines de travailleurs de la région du Sahel.
La CMA a imposé un début de réglementation, touchant notamment la gestion des déchets chimiques et l’enregistrement des étrangers, comme le Groupe d’experts a pu le constater, réglementation à laquelle plusieurs sites miniers ne sont pas encore pliés. Les sites miniers suscitent à l’évidence d’importants investissements et de nouveaux échanges commerciaux dans la région de Kidal, procurant ainsi à la CMA un surcroît de revenus grâce à ses postes de contrôle et à la levée de diverses taxes.
- Conflit à Talataye
Le Groupe d’experts a déjà souligné dans son rapport final de 2018 l’intérêt stratégique que représente le contrôle de la commune rurale de Talataye (cercle de Gao), que se disputent la CMA, qui tente une expansion vers le sud pour contrôler les routes commerciales stratégiques et élargir ses zones d’influence, et le MSA-D, groupe dissident du MNLA désormais allié au Groupe d’autodéfense des Touaregs Imghad et leurs alliés et proche des forces armées maliennes et internationales.
Les 9 et 10 janvier 2019, 33 véhicules de type pick-up transportant environ 180 combattants ont quitté Kidal pour Talataye afin d’escorter la délégation de la CMA conduite par Salah Ag Ahmed et Alhousseiny Ag Ahmedou. Le 11 janvier, Mahamat Ag Alhadi, commandant militaire local du MSA à Talataye, et son frère Moussa, commandant régional du MSA, ont décidé de bloquer les délégations de la CMA en périphérie de Talataye. L’accord conclu en définitive le 20 janvier 2019 ne survivra pas à une série de heurts graves opposant directement les deux groupes en mai et juin, qui aboutiront à l’éviction du MSA-D de Talataye et à la prise de contrôle effective de la commune par la CMA.
- Tensions à Ménaka
Outre le cas présenté dans son rapport final de 2018 concernant Mohamed Ag Siguidi, fils de Siguidi Ag Madit, représentant du HCUA pour la région de Ménaka , le Groupe d’experts a reçu de nouvelles informations faisant état de collusion entre des proches de représentants du HCUA dans la région de Ménaka et des groupes armés terroristes. Les autorités maliennes enquêtent notamment sur la participation de Daoud Ag Midoua à l’attaque menée contre une position militaire de la Garde nationale dans la ville de Ménaka , qui a coûté la vie à trois gardes nationaux et à un membre des forces armées maliennes.
Le 27 septembre 2018, les forces de l’opération Barkhane ont arrêté Ag Midoua en même temps que deux associés dans les bureaux de la CMA à Ménaka. Almou Ag Mohamed, porte-parole de la CMA a dénoncé cette arrestation dans un message public diffusé sur les médias sociaux, qu’il a supprimé depuis.
Le fait que le groupe « Province d’Afrique de l’Ouest de l’État islamique » revendique de plus en plus d’opérations au Mali pourrait signifier soit que ce dernier remplacerait l’État islamique du Grand Sahara comme autorité de tutelle des katibas locales qui sévissent dans les zones frontalières du Mali et du Niger (zones d’Akabar et d’Intaglal au Mali et de Tongo Tongo/Baley Béri au Niger), soit que l’État islamique du Grand Sahara lui serait dans son ensemble plus formellement lié , peut-être du fait de l’absence prolongée d’Adnan Abu Walid Al Sahraoui du théâtre des opérations.
Criminalité organisée
Trafic de stupéfiants / Saisies et arrestations au niveau régional
Saisies et arrestations liées au trafic de cannabis au Niger
Dans son rapport à mi-parcours de 2019, le Groupe d’experts a indiqué qu’Hanoune Ould Ali Mahari, figure de proue du MAA-Plateforme, avait cherché à obtenir la libération de ressortissants maliens, notamment Sid’Ahmed Ben Kazou Moulati, alias Zaneylou, arrêté à Niamey dans une affaire d’expédition de 10 tonnes de résine de cannabis (haschich) entre avril et juin 2018. Au moment de la rédaction du présent rapport, le Groupe d’experts cherchait à en savoir plus au sujet de cette affaire.
Selon plusieurs sources d’information, Hanoune Ould Ali agissait pour le compte de Mohamed Ben Ahmed Mahri, alias Mohamed Rouggy, cerveau de cette opération avec Ben Kazou Moulati. Les deux hommes ont été vus ensemble à Niamey en décembre 2017 . Par ailleurs, Ben Ahmed Mahri et Ben Kazou Moulati dirigent la société Tilemsi Distribution et Transport établie à Niamey, filiale d’une société éponyme de Gao, dont le nom est également abrégé en «Tildis SA».
Selon les informations communiquées par un État Membre, Mohamed Ould Mataly sert de relais politique à des trafiquants de drogues dont Mohamed Rouggy en les protégeant contre toute intervention des autorités étatiques, en soudoyant les services de sécurité et en avertissant les trafiquants de la tribu arabe des Lehmar des éventuelles opérations de lutte contre les stupéfiants.
- Saisie de cocaïne en Guinée-Bissau
Selon les informations émanant de plusieurs États Membres et de sources confidentielles, Ben Ahmed Mahri se livre également au trafic de cocaïne arrivant en Guinée-Bissau puis transitant par le Sénégal et le Mali. Le 9 mars, les autorités bissau-guinéennes ont saisi 789 kg de cocaïne (d’une valeur de 50 millions de dollars des États-Unis) dans le compartiment secret d’un camion chargé de poisson congelé immatriculé à Thiès (Sénégal).
Cette saisie a conduit à l’arrestation de quatre personnes deux Nigériens, un Sénégalais et un Bissau-guinéen près de la ville de Safim. L’un des ressortissants nigériens, Mohamed Sidi Ahmed, était en possession d’un passeport nigérien et d’une carte d’identification de l’Assemblée nationale du Niger. Les autorités de ce pays ont affirmé qu’il s’agissait là de faux documents, cette personne étant de nationalité malienne . Mohamed Sidi Ahmed s’était déjà rendu en Guinée-Bissau en janvier 2019 dans l’intention d’y établir une maison de commerce.
Le 4 mars, soit cinq jours avant la saisie, Ben Ahmed Mahri était arrivé à Bissau en voiture de Dakar avec son complice, Oumar Ould Mohamed, également de nationalité malienne. Ce dernier avait acheté le camion au Sénégal et passé trois mois à l’aménager avant d’être rejoint par Ben Ahmed Mahri pour les dernières étapes de l’opération. Le camion avait été conduit à Bissau quelques jours avant leur arrivée et stationné dans un dépôt en vue du chargement de la drogue. Les deux suspects ont été repérés et photographiés sur les lieux mais ont échappé à l’arrestation. Ben Ahmed Mahri a quitté la Guinée-Bissau la veille de la saisie, et Oumar Ould Mohamed le lendemain, l’un et l’autre via le Sénégal. Au moment de la rédaction du présent rapport, on ignorait toujours où ils se trouvaient. D’après plusieurs sources confidentielles ils étaient rentrés au Mali. Ben Ahmed Mahri se trouverait à Tabankort, dans la région de Gao.
Mohamed Ben Ahmed Mahri utilise les revenus tirés du trafic de stupéfiants pour soutenir des groupes terroristes armés, notamment Al-Mourabitoun, entité sous le coup de sanctions. Il a ainsi aidé des combattants à se livrer à des hostilités en violation de l’Accord, notamment en permettant au MAA-Plateforme d’enrôler de nouvelles recrues. Il a également tenté de soudoyer les autorités judiciaires pour obtenir la libération de terroristes présumés.
- Saisie de cannabis au Maroc
Le 10 avril 2019, les autorités marocaines ont saisi près de 12 tonnes de résine de cannabis d’une valeur estimée à 24 millions de dollars au poste de Guerguerat, à la frontière avec la Mauritanie. Transportée par camion, la drogue était dissimulée dans des boîtes contenant des assiettes en plastique. Le chargement était destiné à une société de Bamako. Faisant suite à la saisie effectuée à Niamey en juin 2018, celle opérée au Maroc vient montrer une nouvelle fois l’existence d’un gros trafic de résine de cannabis du Maroc en Mauritanie et au Mali empruntant des véhicules de transport routier.
En outre, le Groupe d’experts n’exclut pas que Ben Ahmed Mahri ait également été mêlé à l’expédition de la drogue saisie au Maroc, la société malienne figurant sur le manifeste de cargaison portant le même nom que celle que son complice, Mohamed Sidi Ahmed, avait l’intention d’établir à Bissau en janvier 2019. De fait, les trois saisies importantes de stupéfiants opérées dans la région ces 18 derniers mois ont produit des informations laissant entrevoir l’implication de Ben Ahmed Mahri dans chacune d’entre elles. Toutefois, le Groupe d’experts n’a pas été à ce jour en mesure de confirmer que la société en question ait été enregistrée au Mali ou ailleurs dans la région.
- Convois de drogues au Mali
Le transport de drogues à travers le territoire malien continue de faire l’objet d’une concurrence entre réseaux criminels rivaux, faisant intervenir des éléments associés aux mouvements signataires, ce qui menace la mise en œuvre de l’Accord. Dans son rapport final, le Groupe d’experts a fait état d’un affrontement violent entre la CMA et le Groupe d’autodéfense des Touaregs Imghad et leurs alliés près d’Amassin, en avril 2018, au cours duquel des éléments affiliés à la CMA ont intercepté des stupéfiants d’un convoi du GATIA d’Ahmoudou Ag Asriw, individu sous le coup de sanctions.
En avril 2019, Ag Asriw et Ag Attayoub semblent s’être réconciliés dans l’objectif d’intercepter ensemble trois tonnes de résine de cannabis près de Tabankort, lieu notoire de stockage et de transbordement de drogues sur la route reliant Gao à Kidal. Le chargement de drogues qui appartenait à des membres de la tribu arabe des Lehmar affiliés au MAA-Plateforme de Gao était transporté par un réseau criminel affilié à la CMA. L’opération s’est déroulée sans violence, et des sources internes ont confié au Groupe d’experts qu’un accord avait probablement été trouvé pour augmenter les droits de passage.
Traite de personnes et trafic de migrants
- Principaux trafiquants d’êtres humains
Baye Coulibaly, un des plus gros trafiquants d’êtres humains terme qui recouvre à la fois la traite d’êtres humains et le trafic de migrants visés dans la résolution 2374 (2017) de la ville de Gao, est en activité depuis 2010. Sous le couvert d’une agence de voyage du nom de Tiniwarene, il transporterait environ 25 migrants par semaine, notamment jusqu’au garage tenu par Mahamed ou Ag Rhissa, individu sous le coup de sanctions, à Talhandak, non loin de la frontière algérienne. Ag Rhissa et Baye Coulibaly soumettent l’un et l’autre les migrants à des traitements inhumains.
Ayant précédemment recruté des migrants pour le compte du Groupe d’autodéfense des Touaregs Imghad et de leurs alliés, Coulibaly est aujourd’hui affilié au Ganda Koy, milice locale à prédominance Songhaï, membre de la Coordination des mouvements et fronts patriotiques de résistance d’Harouna Toureh. Supervisant les points de contrôle illégaux érigés sur les routes situées à la sortie de Gao, il facilite le passage clandestin de migrants.
Violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme
- Meurtres de civils par les Forces armées maliennes
Dans son précédent rapport final, le Groupe d’experts a décrit comment des civils avaient été pris pour cible par les forces de défenses et de sécurités maliennes engagées dans la lutte contre le terrorisme dans le centre du pays, au premier semestre de 2018. Mis à part d’un cas présumé signalé dans le village de Doma (région de Mopti) en août 2018 , les allégations de faits de cet ordre au cours des six derniers mois de 2018 et des six premiers de 2019 ont été moins fréquentes. L’action de la justice concernant les cas signalés entre février et juin 2018 dans les villages de Sokolo (région de Ségou) et Boulikessi et Nantaka (région de Mopti) suit lentement son cours. Si les auteurs des faits ont été suspendus, aucun d’entre eux n’a toutefois encore été condamné.
Le Groupe d’experts a enquêté sur un cas d’exécutions extrajudiciaires par les Forces armées maliennes dans la région de Gourma, survenu le 24 avril, jour où une unité d’escorte de l’armée a arrêté quatre hommes sur l’axe Gossi-Gao. L’un de ces individus est parvenu à s’enfuir, mais les trois autres ont été emmenés à Intahaka (région de Gao), où ils seront exécutés et leurs corps brûlés. Les victimes étaient dénommées Ahamda Ag Al Husseini et Mosa Ag Medidi, l’un et l’autre membres du GATIA, et Mossa Ag Hamada, garde national membre du Mécanisme opérationnel de coordination de Gao.
Un des passagers du bus escorté par l’unité des Forces armées maliennes a confié au Groupe d’experts que ces hommes, dont trois circulaient sur une même moto, avaient attiré l’attention des soldats, qui les ont interpellés, la circulation à moto étant interdite après 18 heures. Les hommes ont produit leurs cartes du GATIA mais les soldats les ont passés à tabac avant de les emmener à proximité du point de contrôle des Forces armées à Intahaka. Selon le témoin, c’est là que la moto a été incendiée et les trois victimes brûlées.
Quelques jours après les faits, le GATIA a attribué la responsabilité de ces meurtres extrajudiciaires à l’officier Hamadi Coulibaly, commandant de l’unité des Forces armées maliennes en cause. Selon un officier malien de Gao, les auteurs présumés étaient placés en détention, faisant l’objet d’enquête par la justice militaire.
Recommandations
Le Groupe d’experts recommande que le Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 2374 (2017) concernant le Mali:
a – Exhorte le Gouvernement malien et les groupes armés que sont la Plateforme et la CMA à signer sans délai une feuille de route révisée assortie d’un calendrier clair, réaliste et contraignant.
b – Encourage la Commission technique de sécurité à créer et tenir à jour une base de données centralisée de tous cas de violations du cessez-le-feu et de sa réglementation applicable aux mouvements de véhicules et au transport d’armes collectives par tous groupes armés coopérant à l’application de l’Accord, et de signaler systématiquement toutes violations au Comité de suivi de l’Accord.
c – Exhorte le Comité de suivi de l’Accord à continuer de dresser constat de toutes entraves à l’accès et de veiller à la sécurité du personnel humanitaire dans les zones contrôlées par les groupes armés coopérant à l’application de l’Accord et d’examiner la problématique de la pratique consistant pour ces groupes à imposer aux organisations humanitaires des prestataires de services de logistique et de transport.
d – Encourage la CEDEAO à étoffer son projet de directive relative à la traçabilité du tabac en y définissant les actes et infractions punissables (à l’exemple de l’article 14 du Protocole de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac), en visant dans la définition des actes illicites le transit et la réexportation de produits du tabac en infraction à la réglementation du pays de destination (dans le droit fil des décrets adoptés au Bénin, au Burkina Faso, au Niger et au Togo en 2016 et 2017 ), et en y envisageant des mesures visant à éliminer le commerce illicite (à l’exemple de l’article 15 de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac).
e – Encourage l’Union économique et monétaire ouest-africaine à insérer dans toute future directive relative à la traçabilité du tabac une définition des actes et infractions punissables (dans l’esprit de l’article 14 du Protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac), y compris le transit et la réexportation de produits du tabac en infraction à la réglementation du pays de destination (dans le droit fil des décrets adoptés au Bénin, au Burkina Faso, au Niger et au Togo en 2016 et 2017 ), ainsi que des mesures visant à éliminer le commerce illicite (dans l’esprit de l’article 15 de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac).
f – Invite les États membres de la CEDEAO à se donner des textes ou à renforcer tous textes existants portant répression du commerce illicite des produits du tabac.
g – Encourage la Force conjointe du Groupe de cinq pays du Sahel à s’acquitter de son mandat de lutte contre la criminalité transnationale organisée en favorisant les enquêtes transfrontières conjointes et en rapprochant l’action de police spécialisée du déploiement de forces, afin de permettre la saisie de marchandises de contrebande et l’arrestation de toutes personnes impliquées dans les trafics, y compris la traite d’êtres humains.
h- Prenne langue avec le Gouvernement algérien pour organiser une visite officielle du Groupe d’experts dans le pays avant la fin de son mandat actuel et souligne combien il importe de voir l’Algérie donner suite aux lettres du Groupe d’experts de demande de compléments d’informations concernant des personnes se trouvant en territoire algérien ou de nationalité algérienne qui menacent la mise en œuvre de l’Accord ou sont parties à la criminalité organisée.
Le Groupe d’experts recommande également que dans sa prochaine résolution la concernant, le Conseil de sécurité prescrive à la Force conjointe du Groupe des cinq pays du Sahel:
a – De partager avec le Comité créé par la résolution 2374 (2017) et son Groupe d’experts toutes informations utiles, spécialement dans le cadre de la lutte qu’elle mène contre les groupes criminels organisés.
b – De prêter concours au Comité et à son Groupe d’experts, de garantir la sécurité des membres du Groupe et de leur donner accès en toute liberté à toutes personnes et tous documents et sites, afin de permettre au Groupe d’experts de s’acquitter de son mandat au-delà des zones d’opérations de la MINUSMA.
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