Orphée Douacle Kette
Il y a quelques mois, la République centrafricaine (RCA) célébrait le premier anniversaire de l’Accord de Khartoum, un énième d’une longue série. Cet accord est appelé, désormais, sous l’acronyme “pimpant” et “ronflant” d’Accord politique pour la paix et la réconciliation en Centrafrique (APPRC). Il est le dernier d’une série de tentatives pour faire remonter la RCA des enfers. Après une crise, dernière-née d’une série, symptomatique des pays effondrés: un État failli. Celle-ci, débutée en décembre 2012, a vu débarquer une multitude d’acteurs en Centrafrique. Tous sont venus croyant détenir la solution et faisant fi des réalités locales et des interactions endogènes; peut-être faute d’un leadership national ou encore de manque de résilience du peuple centrafricain?
Entre les acteurs extérieurs, au niveau régional, les Nations Unies, l’Union européenne et l’Union africaine bref, ils sont nombreux au chevet de la RCA. Chacun a sa propre lecture de la situation et sa solution face à la crise. Inéluctablement, la crise ne peut que se complexifier avec le nombre élevé des acteurs avec plusieurs voies. L’accord de Khartoum participe de cette assertion… Cette crise née d’une rébellion armée hétéroclite, menée par la coalition Seleka, truffée d’éléments criminels étrangers et appuyée par certains pays de la région a fini par la prise du pouvoir.
Incapable de gerer les affaires de l’État, cette coalition a dû abandonner le pouvoir toujours sous l’influence des acteurs extérieurs. S’en est suivie une transition expéditive. Une transition à la hussarde. Celle-ci s’est révélée incapable de mobiliser les acteurs nouveaux pour se réinventer et proposer une politique de développement national. Manquant de temps et n’ayant aucune expertise sur les enjeux et les attentes du pays, cette transition s’est vite retrouvée sous pression.
Le pays est tiraillé, entre d’un côté, la communauté internationale qui réclame des élections à tout prix avec une grande partie du pays entre les mains des groupes armés ; de l’autre côté, une population abusée, “violée” et vivant dans l’extrême pauvreté et de surcroit victime perpétuelle des groupes rebelles-terroristes.
Entre les vœux de la communauté internationale qui correspondent à leur calendrier et ceux de la population, les premiers ont pris le dessus parce que l’exigence des élections s’accompagnait des promesses mirobolantes d’aides financières et surtout d’une promesse erronée de désarmement même forcé. Les élections de 2015 vont se tenir dans un pays où les groupes armés vont conserver les armes et surtout garder leur hégémonie et autonomie illégale sur les régions militairement occupées.
Le temps s’est-il figé en RCA?
Nous sommes à la moitié de l’année 2020. À quelques mois des élections de décembre, le même scénario risque de se répéter : les groupes armés contrôlent la quasi-totalité du pays (80% du territoire). Ils conservent armes et influence locale. Ceci en dépit de l’accord de Khartoum et du processus DDRR assimilable aisément “au tonneau de Danaïde”, car engloutissant d’énormes subventions financières de la communauté internationale. Sans résultat concret. Qui pour s’en étonner. Nombreux sont les acteurs nationaux lucides qui n’ont pas cru aux accords de Khartoum.
Le pays est tiraillé, entre d’un côté, la communauté internationale qui réclame des élections à tout prix avec une grande partie du pays entre les mains des groupes armés ; de l’autre côté, une population abusée, “violée” et vivant dans l’extrême pauvreté et de surcroit victime perpétuelle des groupes rebelles-terroristes
Le seul changement substantiel de l’accord de Khartoum qui mérite remarque et incompréhension concerne les groupes armés qui sont de facto reconnus comme des alliés du pouvoir au détriment des principes démocratique. Pour s’en convaincre, une simple et rapide lecture des termes de cet accord révèle la part belle faite à ces terroristes en dépit de leurs nombreuses exactions sur la population civile. A ce jour, l’accord n’a pas réussi à mettre un terme aux exactions comme en témoigne dernièrement la tuerie des civils dans le marché de ndélé; que dire également de l’attaque de la ville d’Obo par l’Unité pour la paix en Centrafrique (UPC)?
Toujours est-il que les élections sont prévues constitutionnellement en RCA à la fin de cette année. Dans une récente production de l’auteur Gervais Douba, cette interrogation vaut son pesant d’or: «la présidentielle 2020; chausse-trappe ou rédemption populaire?» Loin de s’adonner à l’analyse de cette production, la question serait : ces élections seront jugées à l’aune de ces résultats, de son organisation, de ces candidats ou des idées qui émergeront? Cela fait grandement écho tant la vacuité d’une pensée politique réelle, dense surtout en rapport des enjeux auxquels le pays est confronté fait encore cruellement défaut. Une fois que cette vacuité est constatée, il y a cette question très essentielle: «Qui peut croire que c’est exclusivement par les élections que la crise en RCA sera réglée?».
Répondre à cette question nous oblige à emprunter le canal de “l’archéologie des pratiques” et faits politiques de la RCA. Un chemin prisé du compatriote Douba et aisément à emprunter ici. Archéologie, car il y a fossilisation. Et donc, intéressons-nous aux fossiles. Non seulement aux fossiles, mais à la réalité du monde actuel en ces différentes périodes, la répartition des forces et le climat d’hier et d’aujourd’hui.
Les élections n’ont jamais été une réponse durable à une crise en RCA
L’étude de l’archéologie des pratiques politiques en RCA révèle la part belle faite aux acteurs extérieurs croyant à certains dogmes sans éprouver les réalités et attentes locales. Déjà en 2005, 2011 et 2015 les élections en RCA font suite à ce qu’il faut considérer d’injonction de l’extérieur peut-être une fois de plus faute d’un leadership national ou de résilience du peuple. Pis, celles de 2015 où le Tchad et la France ont accordé leurs violons pour faire imposer leur projet: «Nous avons avec le président François Hollande la même position en ce qui concerne la RCA: cette transition doit s’arrêter. Il vaut mieux une mauvaise élection qu’une transition chancelante.»
Nous sommes à la moitié de l’année 2020. À quelques mois des élections de décembre, le même scénario risque de se répéter: les groupes armés contrôlent la quasi-totalité du pays (80% du territoire)
Et il y a eu les élections. Des mauvaises. Pour preuve, les pérégrinations et péripéties du pays aboutissant à l’accord de Khartoum ne sont que l’expression de ces mauvaises élections imposées. Personne ne relèvera… Qui a cru que la communauté internationale accorde de l’importance à la crédibilité d’une élection dans un climat apaisé? Pour ces élections de décembre où l’Autorité nationale des élections (ANE) accuse déjà d’énormes retards sur son chronogramme. En dépit de cette réalité, le patron de la MINUSCA, a déclaré, je cite: «La RCA ne peut se payer le luxe d’une nouvelle transition». Encore une position de l’extérieur pour s’imposer au pays malgré les réalités sombres actuelles.
Une réalité implacable
Il y a des éléments principaux et d’ordre pratique qui ne plaident pas en faveur de la tenue des élections en RCA, en décembre, délai constitutionnel. La première raison demeure l’insécurité sur la quasi-totalité du pays et l’absence de résultat sur le programme DDRR. Cette situation découle du marché de dupes entretenu et conclu entre le pouvoir et les groupes armés où même le cantonnement des rebelles-terroristes n’est pas encore effectif.
Sur le flanc de la pandémie du COVID-19, il y a eu une brusque accélération des contaminés due à la gestion opaque dudit dossier par le gouvernement. Un bref regard au tableau ci-dessus, permet de constater une accélération des testés positifs faisant craindre le pire à cause de l’irresponsabilité et de l’incompétence de la gouvernance. Par manque de sérieux, ces chiffres ne concernent que la capitale Bangui et donc ne constitue pas une donnée nationale.
Toujours en matière de santé, la fièvre Ebola vient de resurgir à la frontière de la Centrafrique, dans le nord-est de la République démocratique du Congo (RDC), précisément dans la province de Mbandaka, région de l’Equateur. Personne ne peut nier les nombreux échanges commerciaux entre la RDC et la RCA. De ce fait, la Centrafrique devrait se préparer à l’éventualité d’une propagation de ce virus au lieu de se focaliser uniquement sur l’élection. Rien ne vaut la santé, dit-on…
Il reste cette interrogation: «comment s’exprime ou doit s’exprimer un canon politique dans un pays avec un niveau de conflictualité élevé?
Ces deux réalités ne doivent être occultées. Le pouvoir et ses partenaires doivent se résoudre à repousser le délai constitutionnel pour la tenue de l’élection, et éviter d’exposer davantage la pauvre population éternelle victime.
Quelle solution?
Nombreux sont les acteurs de la crise en Centrafrique ayant claironné que la solution à la crise est politique. Mais au moment où le pays ne peut aller aux élections pour des raisons évidentes évoquées, la solution devient, par prestidigitation, que juridique ou par respect de la constitution. Laquelle constitution a été enjambée sans scrupule pour signer l’Accord de Khartoum. Évidemment la solution à la crise est d’abord politique. Et le droit n’interviendra que pour donner un habillage juridique à une entente politique consensuelle trouvée. Ainsi le tripatouillage constitutionnel est une vraie fausse piste.
Il reste cette interrogation: «comment s’exprime ou doit s’exprimer un canon politique dans un pays avec un niveau de conflictualité élevé? S’il faut retenir le dialogue permanent prôné par le pouvoir avec les groupes armés, ce, en dépit de leurs innombrables exactions, comment comprendre le refus de ce pouvoir pour ouvrir largement le chantier d’un dialogue national largement inclusif avec les acteurs nationaux politiques ou/et apolitiques, leaders d’opinion pour un consensus sur l’avenir de la RCA ? Résister est synonyme d’un enfermement dans un “huis clos” avec les groupes terroristes, ce qui est antidémocratique et n’augure d’un lendemain meilleur. Les oracles sont tels que la RCA n’a pas d’autres choix que de se payer le luxe d’une nouvelle transition.
Quel destin pour la République Centrafrique ?
La RCA était confrontée au défi de se réinventer. La transition de 2014 était l’occasion idéale, mais manquée. Faute de temps, la pression des acteurs extérieurs et de l’absence d’une volonté politique intérieure, la RCA a enjambé cette indispensable introspection pour ne pas se donner un vrai destin. Gabegie, népotisme, clientélisme ont repris de plus belle sans oublier l’absence d’une ligne et carence politique de développement.
Continuer ainsi avec le même pouvoir et le “huis clos” avec les groupes rebelles- terroristes est un suicide général imposé à un peuple qui n’en veut et n’en peut plus. L’appropriation de l’avenir de ce pays a besoin d’un large rassemblement avec une participation conséquente des nouveaux acteurs.
Continuer ainsi avec le même pouvoir et le “huis clos” avec les groupes rebelles- terroristes est un suicide général imposé à un peuple qui n’en veut et n’en peut plus.
Une telle opportunité ne doit plus être repoussée ou abandonnée. Au nord de la RCA, il y a le Soudan et le Tchad, deux grands pays africains arabophones; au sud, il y a la RDC, le 2ème pays plus vaste du continent. Comment être viable entre ces mastodontes sans se réinventer ? Car au-delà de sa superficie minimum 3 fois moins que ces pays, la RCA a un déficit considérable concernant sa démographie. Il faut 13 fois plus de Centrafricains pour se rapprocher de la population de la RDC, 3 fois pour le Tchad et 8 fois pour le Soudan.
Des réalités imposent un exercice de rassemblement, d’introspection voire de prospection pour ce pays. La pandémie de la COVID-19 qui a ébranlé beaucoup de pays dans leurs fondements, et le réchauffement climatique qui occasionnera un mouvement inéluctable des populations du Nord vers le Sud du continent africain sont autant de réalités plus vives ne permettant à la RCA de continuer comme elle l’a toujours fait. Certaines manœuvres ne sont plus permises sous peine de rendre ce pays définitivement non viable.
La transition? Ce mot a laissé un traumatisme en Centrafrique et aux Centrafricains. Celle de 2014 participe encore de celle décidée par les acteurs extérieurs. Rappelez-vous…. Celle pour laquelle nous plaidons doit être aux antipodes de 2014, car sera enfin le point de réappropriation du destin national. Aujourd’hui, point d’alternative possible. La transition ou le suicide collectif d’une élection en faveur du pouvoir, mais qui fera perdre définitivement l’État Centrafrique.
Depuis le début de cette crise, la RCA a été dépossédée de son destin. Tout est dicté de l’extérieur. Cela est contraire au principe cher aux Nations-Unies: le droit au peuple de disposer d’eux-mêmes. La RCA est un État indépendant et membre à part entière des Nations-Unies; à ce titre, elle doit disposer de son destin. Et cela passe par la réappropriation de son destin par l’introspection pour exhumer les causes de sa stagnation par l’analyse des facteurs endogènes tout comme exogènes.
Photo: lebabi.net
Orphée Douacle Kette est un entrepreneur et observateur de la vie politique centrafricaine. Il est l’initiateur et l’ancien président de l’Association des anciens élèves du Lycée Barthélémy Boganda de Bangui de Bangui.