Auteur (s): Kokou Amelewonou, Borel Foko, Guillaume Husson, Jean-Pierre Jarousse et Francis Ndém.
Organisation affiliée: Bureau Régional de l’UNESCO pour l’Education en Afrique par le Pôle d’analyse sectorielle en éducation (Pôle de Dakar).
Type de publication: Rapport
Date de publication: novembre 2008
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Introduction
L’enseignement supérieur en Afrique ne doit pas seulement être adapté aux exigences du moment et notamment à l’évolution récente des scolarisations au primaire et au secondaire. Il s’écarte, dans de nombreux pays, de ses missions et des standards de référence. Sur la base d’un état des lieux actualisé, ce document mobilise les données disponibles nécessaires au cadrage global des débats sur la réforme de l’enseignement supérieur en Afrique. Cet exercice de cadrage devrait permettre de poser les différentes problématiques du débat (flux d’étudiants, qualité, pertinence économique et financement de l’enseignement supérieur) en complément d’autres questions plus spécifiques (recherche, mobilité, régionalisation et coopération), également importantes.
La dynamique des flux
- Une demande pour l’enseignement supérieure en forte augmentation…
Le nombre d’étudiants dans l’enseignement supérieur en Afrique est passé de 2,6 à 8,6 millions entre 1990 et 2006, soit un accroissement moyen annuel de 8,3%. Le rythme de croissance a été plus soutenu au cours des dernières années, en particulier entre 2000 et 2006 où les effectifs du supérieur ont cru en moyenne à un rythme annuel de 9,4%. Par ailleurs, il est important de souligner que la croissance a été plus forte dans les pays à faible revenu du continent. En effet, sur la trentaine de pays à faible revenu pour lesquels les données sont disponibles, les effectifs du supérieur ont cru en moyenne de 9% par an entre 1990 et 2006 (en passant de 750 000 en 1990 à environ 3 millions en 2006) et en moyenne de 12% entre 2000 et 2006.
Le fait que ces pays comptaient relativement peu d’étudiants il y a une quinzaine d’années explique pourquoi le rythme de croissance des effectifs y a été plus élevé qu’en moyenne pour l’ensemble du continent. Quelle que soit la période considérée, ou le groupe de pays, cette croissance est assortie d’une variabilité très importante entre les pays. Sur l’ensemble des pays de la région, le taux moyen annuel de croissance des effectifs entre 1990 et 2006 varie de 1% au Malawi à 16% en Tanzanie. Parmi les pays à faible revenu d’Afrique francophone, et pour la même période, la plage de variation va d’une croissance moyenne annuelle inférieure à 5% à Madagascar et au Congo à plus de 13% aux Comores, en Guinée. En Afrique anglophone, elle varie de 1% ou moins au Malawi et au Zimbabwe à plus de 13% au Ghana, au Rwanda et en Tanzanie.
- Un faible développement des filières scientifiques et technologiques…
La distribution des étudiants selon les filières offertes laisse entrevoir, pour les 24 pays pour lesquels les données sont disponibles, que plus de la moitié (55%) des étudiants sont inscrits dans les facultés ou écoles de formation en sciences humaines ou sociales. Les filières dominantes étant les sciences sociales et le droit qui à elles seules enrôlent en moyenne 42% des effectifs. Par contre, moins d’un étudiant sur quatre est inscrit dans des filières scientifiques ou technologiques. L’Institut de Statistique de l’UNESCO (UIS, 2006) montre que l’enseignement supérieur professionnel court est particulièrement développé en Afrique subsaharienne où il recrute 28% des étudiants en 2005, contre 19% au niveau mondial. Il montre également que ce type d’enseignement est particulièrement plus développé en Afrique anglophone qu’en Afrique francophone.
Par exemple, il concerne 57% des étudiants à l’Ile Maurice, 56% en Sierra Leone, 49% au Lesotho, 41% au Nigéria et en Zambie, 39% au Namibie, alors qu’il ne concerne que 35% des étudiants au Rwanda, 32% aux Comores, 23% au Sénégal, 18% à Madagascar et seulement 5% au Mali et en Mauritanie.
- Une faible participation des filles et des jeunes issus de milieux défavorisés
Très peu de filles et des jeunes issus des milieux défavorisés accèdent à l’enseignement supérieur en Afrique en comparaison de l’accès des garçons ou des jeunes issus des milieux favorisés. On sait que les filles, tout comme les enfants issus des milieux défavorisés, ont un accès plus faible à l’école primaire. On sait également que ces catégories d’élèves ont en moyenne une rétention plus faible et que la sélection à laquelle ils font face est beaucoup plus stricte lors des transitions entre les cycles d’études. Au final, ces deux catégories d’étudiants sont peu représentées dans l’enseignement supérieur.
En 2006, à l’échelle du continent, les filles scolarisées représentent en moyenne 37% de l’ensemble des effectifs d’étudiants du supérieur, proportion qui varie de 13% au Tchad à 57% en Tunisie. Cette proportion est de 35% en moyenne pour les pays d’Afrique subsaharienne, mais tombe à 32% lorsqu’on se restreint aux seuls pays à faible revenu. Toutefois, bien qu’encore faible, la représentativité des filles dans l’enseignement supérieur a 10 beaucoup augmenté au cours des 15 dernières années, du fait notamment de l’expansion des scolarisations aux différents niveaux d’enseignement. En 1991, les filles ne représentaient qu’un quart de l’ensemble des effectifs du supérieur en Afrique subsaharienne.
- La demande pour l’enseignement supérieur pourrait continuer de croître durant les prochaines années
D’après les simulations effectuées dans le rapport Dakar+7 de l’UNESCO-BREDA (UNESCO-BREDA, 2007), en se fondant uniquement sur les rythmes actuels d’expansion de l’enseignement supérieur, tels qu’indiqués plus haut, environ 20 millions d’étudiants (dont 9,4 millions dans les pays à faible revenu) pourraient frapper aux portes de l’enseignement supérieur en Afrique d’ici 2015. Cela représente plus qu’un doublement par rapport au niveau actuel. Les besoins en capacités d’accueil pour répondre à cette forte demande potentielle seront plus ou moins importants suivant les pays. Ce rapport indique qu’on pourrait assister, dans de nombreux pays, à une véritable « explosion » de la demande sociale pour l’enseignement supérieur si les rythmes de croissance actuels devaient se maintenir (cf.. tableau en annexe 1 pour la situation individuelle des pays).
Pertinence économique de l’offre actuelle
Il est communément admis que l’éducation en général, et l’enseignement supérieur en particulier, constituent un facteur clé du développement économique, social et culturel de toute nation. L’enseignement supérieur est en effet porteur de bénéfices économiques et sociaux potentiels, diffus et difficiles à appréhender de manière exhaustive. Les bénéfices potentiels pour les individus comprennent, par exemple, des salaires plus élevés et une plus grande capacité à épargner et investir. Ces avantages pourraient conduire à une meilleure santé et une meilleure qualité de vie en instaurant un cercle vertueux dans lequel les améliorations de l’espérance de vie permettent aux individus de travailler de façon plus productive pendant une plus longue période (Bloom et alii, 2003).
Les gains individuels peuvent également bénéficier à la société toute entière. Des gains plus élevés permettent en effet d’augmenter les recettes fiscales des gouvernements, la consommation, et donc, potentiellement, la croissance économique. L’enseignement supérieur a donc potentiellement des effets directs sur l’économie et la société, en alimentant en talents et en travailleurs hautement qualifiés divers secteurs de la vie économique, sociale et politique.
Toutefois, ces effets ne se matérialisent que si l’enseignement supérieur est de bonne qualité et que les diplômés de l’enseignement supérieur arrivent effectivement à trouver un emploi ou à exercer une quelconque activité sociale ou productive dans laquelle ils exercent pleinement leurs talents. Ainsi, la pertinence de l’enseignement supérieur est contingente du contexte de chaque pays.
- Un contexte de l’emploi particulier au regard de l’offre actuelle d’enseignement supérieur
Dans la plupart des économies africaines, il existe deux principaux secteurs d’emplois qui se distinguent nettement par leur taille et leur structuration. Le secteur de l’emploi dit « moderne », généralement étroit de par le nombre d’emplois qu’il offre, est celui qui 12 regroupe l’ensemble des emplois publics et privés de nature formels. Pour 23 pays africains dont les données couvrent la période comprise entre 2000 et 2006, Mingat (2007) estime à seulement 10,3% la part des emplois offerts par le secteur moderne. Cette part est inférieure ou égale à 5% au Burkina Faso, au Burundi, en Guinée, en Guinée-Bissau et au Rwanda, mais atteint 15% à Madagascar, en Ouganda et en Zambie, 18% au Cameroun, en Mauritanie et au Congo et jusqu’à 28% au Lesotho (valeur maximale dans l’échantillon des 23 pays).
Les emplois « modernes » en général et dans le secteur public en particulier, sont donc relativement rares, ce d’autant plus que moins de la moitié des emplois modernes sont issus du secteur public (48%) et l’autre moitié (52%) du secteur privé. Les débouchés dans le secteur moderne sont donc limités. Toutefois, avec la forte croissance économique observée ces dernières années dans de nombreux pays de la région, on peut anticiper une augmentation plus ou moins importante de la taille du secteur privé (et donc des débouchés), mais il convient d’avoir conscience que le secteur moderne demeurera très minoritaire en terme de débouchés, dans les 10 à 15 prochaines années. C’est donc essentiellement le secteur « non structuré » (agriculture en milieu rural et secteur informel en milieu urbain), qui regroupe actuellement près de 90% des emplois disponibles, qui offrira des perspectives d’emplois à la très grande majorité des sortants du système éducatif dans les 10 à 15 prochaines années.
- Des difficultés d’insertion professionnelle des diplômés Un taux de chômage élevé…
On dispose du résultat agrégé de la situation des formés du système éducatif, sur le marché du travail pour les mêmes pays que précédemment (22 pays d’Afrique subsaharienne entre 2000 et 2006). Ces données, même si elles ne permettent pas une analyse fine selon les filières de l’enseignement supérieur, fournissent des éléments de base utiles pour analyser l’insertion professionnelle des diplômés. On se restreint aux jeunes âgés de 25 à 34 ans au moment de l’enquête qui sont, en toute vraisemblance, en situation d’insertion sur le marché du travail (« jeunes diplômés »).
La situation agrégée des 23 pays indique un taux de chômage moyen de l’ordre de 8 % pour le groupe d’âge concerné. Ce taux est cependant plus élevé pour ceux ayant été formés dans l’enseignement supérieur où il atteint plus de 25%, comme le montre le graphique 2.1. Cela signifie que, dans la situation prévalant sur le marché de l’emploi dans les pays concernés dans les années récentes, les formés de l’enseignement supérieur éprouvent les plus grandes difficultés d’insertion professionnelle.
- Une offre d’enseignement supérieur très souvent déconnectée du marché du travail
Le chômage constitue la principale alternative à un emploi moderne…
Les formés n’ayant pas pu obtenir un emploi dans le secteur moderne (emploi correspondant dans une certaine mesure à leur niveau de qualification) sont logiquement confrontés à deux alternatives : (i) ils peuvent se contenter d’un emploi à faible à qualification dans le secteur informel ou créer leur propre emploi tout comme (ii) ils peuvent se résoudre à rester au chômage, aussi longtemps que possible, jusqu’à ce qu’une offre d’emploi moderne (répondant éventuellement à leur convenance) leur soit proposée. Ces deux alternatives peuvent être testées sur la base des données disponibles. Les résultats suggèrent que, dans le contexte africain, la seconde alternative est, contre toute attente, la plus vraisemblable.
- En ce qui concerne le premier point en effet, il convient de souligner qu’en moyenne, seul un formé du supérieur sur cinq s’insère dans le secteur informel. Mingat (2007) estime en effet, sur un échantillon de 22 pays africains au début des années 2000, que les formés du supérieur, âgés de 25 à 34 ans, ont eu une probabilité de l’ordre de 20% de travailler dans le secteur informel. Bien qu’il existe une certaine variabilité de cette statistique selon les pays (elle varie de 5% au Tchad à 35% en Guinée), on note clairement qu’à quelques exceptions près, très peu de formés dans l’enseignement supérieur s’insèrent dans le secteur informel.
- S’agissant maintenant du second point, Mingat (2007) a montré que, de manière générale, lorsque la probabilité pour les formés du supérieur d’avoir un emploi dans le secteur moderne est faible, leur probabilité d’être en chômage est élevée. La corrélation entre ces deux probabilités est très forte, comme l’illustre le graphique ci après. Cela indique que les formés du supérieur qui ne trouvent pas d’emplois dans le secteur moderne sont peu enclins à travailler dans le secteur informel et/ou à s’auto-employer.
La quête d’une meilleure qualité
Comme indiqué dans la section précédente, les difficultés d’insertion des diplômés sur le marché du travail résultent, en partie, du fait que l’offre quantitative de formés dans l’enseignement supérieur excède souvent la capacité d’absorption du secteur moderne. Ces difficultés tiennent également à la faible pertinence de l’offre de formation supérieure au regard des spécificités du marché de l’emploi en Afrique : faible pertinence à la fois pour le secteur moderne (il est possible que certains besoins du secteur moderne ne soient pas satisfaits localement, induisant alors un recours à la main d’œuvre expatriée), mais également pour stimuler l’auto-employabilité des diplômés dans le cadre d’activités indépendantes.
L’offre d’enseignement supérieur doit également être de qualité suffisante pour assurer une meilleure contribution des diplômés à l’effort de développement des pays, tout comme elle est nécessaire, en elle-même, du fait de l’internationalisation de l’enseignement supérieur et de ses exigences en termes de compétitivité des formations à l’échelle régionale et mondiale. La qualité de l’enseignement supérieur est cependant une notion complexe et multiforme, dans la mesure où il est protéiforme par nature et vise des logiques (formation, recherche académique de haut niveau, services sociaux aux étudiants, offre de services professionnels divers) variées selon les institutions d’enseignement supérieur et selon les pays. De ce fait, ce qui peut paraître comme étant une bonne définition de la qualité pour un certain type de cours ou d’institutions peut s’avérer tout à fait inappropriée pour d’autres (Martin et Stella, 2007).
Les raisons précises qui conduisent les étudiants à des échecs ou à interrompre leurs études sont diverses. Cependant, contrairement au cas du cycle primaire, on ne dispose pas d’une investigation factuelle rigoureuse sur ces causes au niveau de l’enseignement supérieur, notamment dans le contexte africain. On pourrait néanmoins évoquer, à titre générique, quelques causes qui devront être confirmées ou infirmées au cas particulier de chaque pays. Ainsi, on peut penser que certains étudiants abandonnent leurs études parce qu’ils se rendent compte qu’ils se sont trompés de domaine d’études ou de filière, d’autres parce qu’ils n’ont pas le niveau exigé par l’institution choisie (cas des institutions peu sélectives), d’autres parce qu’ils ont trouvé un emploi intéressant avant d’avoir terminé leur formation ou parce que les conditions d’études ne sont pas attrayantes (amphis et salles de classes bondés sans sonorisation, laboratoires sous-équipés, documentation lacunaire, programmes caduques,…).
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