L’Afrique est-elle partie ?
Le régionalisme africain, une voie originale
Auteurs
Philippe Hugon : Professeur émérite, Paris Ouest Nanterre, Directeur de recherche, IRIS
Christian Deblock: Professeur titulaire, Faculté de science politique et de droit, UQAM directeur de recherche, Centre d’étude sur l’intégration et la mondialisation
Lien vers le document original
L’indice d’intégration régionale en Afrique (IIRA) : un indicateur tout à fait original
En unissant leurs efforts, l’Union africaine, la Banque africaine de développement et la Commission économique pour l’Afrique ont produit un indicateur d’intégration tout à fait original, l’Indice de l’intégration régionale en Afrique (IIRA) qui va nous permettre d’avoir une vision beaucoup plus juste non seulement du degré d’intégration des différentes communautés économiques régionales (CER) africaines, mais également des efforts de chacun en matière d’intégration, autant ces dernières que leurs membres.
Comment réaliser l’intégration, et jusqu’où la pousser ? À ces deux questions, on apporta des réponses variées, mais deux grandes approches furent suivies. En vertu de la première, dite communautaire, l’intégration économique devait être toujours plus étendue et profonde, jusqu’à l’union économique et monétaire complète, et être accompagnée d’un élargissement et d’un renforcement conséquents des politiques et institutions communes. Quant à la seconde approche, plus modeste dans ses objectifs, elle se limitera à faire de la libre circulation des produits, des capitaux et des personnes la clé de voûte d’une intégration économique encadrée par des accords d’association. Deux visions différentes, donc, de l’intégration économique : l’une, qualifiée de positive, en raison de son orientation vers des objectifs communs, et l’autre, qualifiée de négative, l’objectif étant de créer des complémentarités à l’intérieur d’un espace ouvert.
L’intégration en Afrique
La voie qu’a choisie l’Union africaine pour relancer l’intégration du continent reste marquée par l’idéal communautaire, notamment par l’idée de combiner étroitement intégration économique et intégration institutionnelle. De même, s’agit-il pour y parvenir de s’appuyer sur les communautés régionales, du moins sur les huit communautés économiques régionales reconnues, soit la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEDEAO), la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEEAC), la Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD), le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), et l’Union du Maghreb arabe (UMA). L’Indice de l’intégration régionale en Afrique a été construit dans cette double perspective.
Mesurer l’intégration
Pourquoi et comment mesurer l’intégration ? Pour reprendre les mots de l’économiste en chef de la Commission économique pour l’Afrique, l’IIRA est « à la fois un exercice de mesure et une invitation à l’action ». Trop souvent dans le passé les engagements politiques n’ont pas été suivis d’effets. Bien davantage qu’une photographie de l’intégration, ses concepteurs ont cherché à faire de l’indice un véritable « catalyseur du changement », à l’image des indicateurs de performance de l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-est), l’objectif étant d’inciter les différentes communautés et leurs membres à prendre l’intégration au sérieux.
Le second critère qui a prévalu dans sa conception est la simplicité. Cinq dimensions et 16 indicateurs ont ainsi été retenus. Les cinq dimensions sont l’intégration commerciale, les infrastructures régionales, l’intégration productive, la libre circulation des personnes, et l’intégration financière et macro-économique. Sur chacune d’elles, il y a peu à dire sinon que, eu égard au niveau encore peu élevé d’intégration, trois sont particulièrement importantes. Tout d’abord, le commerce intra-régional, l’indicateur le plus visible de l’intégration. Le commerce intracontinental représente à peine 15 % du commerce total, un pourcentage trop faible en comparaison des autres régions
Régionalisme et régionalisation : limites de jure et réussites contrastées
La faiblesse de l’intégration commerciale.
Les relations commerciales et financières intra-africaines comptent pour environ 12 % du total des échanges du continent – sauf en Afrique australe et orientale –. Les 200 organisations régionales « d’en haut » sont, souvent, des sinécures pour les politiques et fonctionnaires. Les pratiques des « acteurs du bas » traversant des frontières poreuses, saisissent des opportunités, sans créer des interconnexions durables
Les arrangements institutionnels et le régionalisme de jure
La multiplicité des accords régionaux Nord/Sud ou Sud/Sud peut être analysée au regard des « nouvelles » institutionnelles en termes de transfert de crédibilité. Le régionalisme par les règles est un facteur favorable à la prise de risque de la part des investisseurs, en réduisant les incertitudes.
Un droit communautaire élargi sécurise ainsi l’horizon des acteurs et a pour effet de stabiliser l’environnement. Les conséquences attendues des accords régionaux notamment des accords Nord/Sud de libre échange entre l’Europe et les pays du Maghreb, ou des Accords de Partenariat Economique (APE), les transferts de crédibilité par la signature du Trésor français au sein de la Zone franc concernent l’ancrage des politiques réduisant les risques de réversibilité et donc favorisant leur prévisibilité.
Les opportunités créées par ces accords institutionnels, le droit (ex OHADA) ou la monnaie (ex Zones franc ou rand) ne sont toutefois pas suffisantes pour favoriser l’intégration régionale si elles ne sont pas accompagnées par : a) des projets de dimension régionale portés par les entreprenants ou entrepreneurs ; b) des politiques de transferts conduisant les « locomotives » ou les pôles bénéficiaires de l’intégration à accueillir les migrants, à réaliser des transferts ou à mettre en œuvre des projets communs avec les périphéries moins bénéficiaires (ex des pays enclavés).
Des Afriques fortement contrastées au niveau de l’intégration
Certaines zones d’intégration se renforcent, notamment la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), grâce à la puissance régionale que constitue l’Afrique du Sud. C’est également le cas de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), qui profite du poids du Kenya. En revanche, l’intégration régionale ne progresse pas, voire régresse, au sein de l’Union du Maghreb (UMA) et de la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC). Les progrès sont également mitigés au sein de la Communauté économique de développement des États d’Afrique occidentale (CEDEAO), avec le maintien d’une rivalité entre la puissance nigériane et les pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA).
La dimension territoriale de l’intégration régionale
L’intégration régionale crée également des effets de polarisation et d’asymétries territoriales. Les forces centripètes sont les externalités technologiques et pécuniaires, l’existence d’un marché du travail et les effets de liaison entre acheteurs et vendeurs. Les territoires se caractérisent par des formes spatiales d’organisation et d’innovation. Les externalités et les milieux ou réseaux innovateurs conduisent à des compétitivités territoriales. Les triangles ou polygones de croissance sont, ainsi, des zones de proximité pour la gestion en commun des ressources naturelles, la mise en place d’infrastructures et la complémentarité de facteurs. Ces zones attractives sont à même de générer des effets d’agglomération industrielle ou des effets de grappe et de créer des externalités favorables à la croissance.
Les Wathinotes sont soit des résumés de publications sélectionnées par WATHI, conformes aux résumés originaux, soit des versions modifiées des résumés originaux, soit des extraits choisis par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au thème du Débat du mois. Lorsque les publications et leurs résumés ne sont disponibles qu’en français ou en anglais, WATHI se charge de la traduction des extraits choisis dans l’autre langue. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.
The Wathinotes are either original abstracts of publications selected by WATHI, modified original summaries or publication quotes selected for their relevance for the theme of the Debate of the Month. When publications and abstracts are only available either in French or in English, the translation is done by WATHI. All the Wathinotes link to the original and integral publications that are not hosted on the WATHI website. WATHI participates to the promotion of these documents that have been written by university professors and experts.