Biographie :
Aurélie Fontaine, journaliste, correspondante pour des médias francophones au Sénégal. Aurélie a travaillé sur la problématique des épouses d’émigrés au Sénégal, au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire.
Extraits :
Quelle problématique de la migration a plus attiré votre attention?
Je m’appelle Aurélie Fontaine. Je suis journaliste, correspondante pour des médias francophones au Sénégal et je travaille dans la sous-région en Afrique de l’Ouest. Je m’intéresse au thème de la migration et plus particulièrement aux épouses des émigrés, c’est-à-dire aux femmes qui restent pendant que leurs maris sont partis trouver du travail en Occident. Elles sont au Sénégal, au Burkina, en Côte d’Ivoire, etc., mais personne ne parle d’elles.
Comment en arrive-t-on à s’intéresser à la thématique des épouses des émigrés?
En 2009 ou 2010, je lisais un roman policier de l’écrivaine franco-sénégalaise Laurence Gavron intitulé « Hivernage ». Dans une partie du livre, elle parle d’une jeune femme qui est mariée à un émigré sénégalais qui vit en Italie et qu’elle n’a jamais vu. Elle l’a épousé après avoir vu sa photo. En quelques paragraphes, Laurence Gavron évoquait cette situation-là et cela m’a interpellée. On parle des migrations, on parle de ceux qui se déplacent vers l’Occident et qui meurent souvent sur le chemin et on parle aussi de leurs vies une fois qu’ils sont arrivés. Par contre, on ne parle jamais de celles qui sont restées en arrière alors que c’est aussi une dimension importante des migrations.
On parle des migrations, on parle de ceux qui se déplacent vers l’Occident et qui meurent souvent sur le chemin et on parle aussi de leurs vies une fois qu’ils sont arrivés. Par contre, on ne parle jamais de celles qui sont restées en arrière alors que c’est aussi une dimension importante des migrations
Lorsque j’ai eu cet intérêt pour les épouses des émigrés, j’ai d’abord fait des recherches pour voir s’il y a des études, des rapports de journalistes ou d’organisations régionales qui s’intéressaient à ce sujet. J’ai trouvé très peu de choses, voire quasiment rien. J’ai commencé à interviewer des sociologues notamment Fatou Sarr Sow qui est sociologue des genres et de la migration à l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar mais aussi la responsable de l’Organisation des Nations Unies pour les femmes (ONU-Femmes) à Louga à l’époque.
Louga (une région dans le nord du Sénégal, réputée pour sa forte population d’émigrés) est, comme Matam (région de la vallée du fleuve dans le nord du Sénégal), une ville où il y a un fort taux d’émigrés, et où il y a donc un grand nombre d’épouses d’émigrés. J’ai donc commencé à rencontrer ces personnes, à Louga et ailleurs dans le Sénégal, au début via une femme qui s’appelle Touty Dieng qui animait auparavant une émission de radio où justement elle lisait les lettres de ces épouses d’immigrés qui demandaient conseil.
Est-ce facile de faire de la recherche sur la situation des épouses d’émigrés?
Ce n’est pas compliqué mais ce n’est pas non plus facile puisqu’on soulève des sujets plutôt tabous. Parler de sa vie personnelle et de sa vie intime à quelqu’un qu’on ne connait pas n’est pas forcément facile pour ces femmes, encore plus quand il s’agit d’un sujet qui n’est pas glorieux. Elles ont cru qu’en épousant un émigré elles allaient pouvoir avoir une belle vie, avoir de l’argent, pouvoir mettre leurs enfants dans de bonnes écoles, mais elles finissent par se rendre compte dans une grande majorité que ce n’est pas le cas et leurs espoirs s’évaporent. Avouer cela tout haut à quelqu’un, c’est non seulement réaliser soi-même cette tristesse mais c’est aussi parler de quelque chose dont on a honte et que la société juge mal. Toutefois, la garantie d’anonymat de ces femmes dans nos interviews permet de les libérer.
Quels sont les problèmes que rencontrent ces épouses d’émigrés?
Il y a la pression sociale, la pression familiale, parce que de cette femme va dépendre le quotidien financier de sa famille mais aussi de la famille de l’émigré. Cela fait beaucoup de monde à soutenir alors qu’il n’y a pas forcément beaucoup d’argent qui arrive chaque mois, surtout depuis la crise financière internationale de 2008.
L’âge d’or de l’immigration est derrière nous et maintenant il est plus difficile de trouver du travail en Europe, sauf pour quelques personnes alors que la pression sociale exercée sur un certain nombre d’épouses d’émigrés a des causes financières.
Pour d’autres (épouses d’émigrés) qui, après le mariage, vont vivre dans la belle-famille, elles sont maltraitées moralement, parfois physiquement. Il y a eu des cas de maltraitance physique prouvés par la documentation de la gendarmerie et de la police.
Un autre problème de ces femmes concerne le plan sentimental. Une femme qui s’est mariée avec son époux à distance selon le rituel musulman, soit elle ne connait pas son mari, soit elle le connait très peu parce que parfois elle peut rester des années sans le voir ou le voir juste occasionnellement un été par ci, un été par là. C’est difficile de nouer une relation de couple dans ces conditions.
Elles ont cru qu’en épousant un émigré elles allaient pouvoir avoir une belle vie, avoir de l’argent, pouvoir mettre leurs enfants dans de bonnes écoles, mais elles finissent par se rendre compte dans une grande majorité que ce n’est pas le cas et leurs espoirs s’évaporent
C’est difficile d’avoir une relation familiale normale pour certaines alors qu’elles ont des enfants qui ne connaissent pas leurs pères et qu’elles élèvent seules. En plus de cela, il suffit qu’elles aillent parler à un homme par exemple pour qu’une rumeur naisse aussitôt sur une prétendue infidélité. Une chape multiple se pose sur elles.
Cependant, les choses changent, et particulièrement sur certains aspects. D’abord, les femmes prennent conscience qu’elles ont des droits. Nous l’avons constaté en allant au tribunal et en rencontrant des juges qui disent qu’il y a de plus en plus de demandes de divorce. Ce qui veut dire que, malgré tout, plusieurs femmes refusent de continuer à supporter cette situation même si cette décision est difficile à prendre. Il y a d’une part la pression de la famille et d’autre part une interrogation sur l’avenir de la femme après le divorce car souvent ces femmes n’ont pas de travail ou pas assez de revenus pour assurer la survie de leur famille et de leurs enfants.
En deuxième lieu, parmi les jeunes femmes qui se marient et qui n’ont pas d’enfants, de plus en plus de personnes se rendent compte qu’on leur avait promis qu’elles pourraient continuer leurs études mais lorsqu’elles deviennent mariées, elles ne continuent pas leurs études. Elles vont dans la belle-famille, ce qui veut dire avoir des enfants, faire le ménage, etc. Certaines vont refuser cela. Elles vont réaliser que ce n’est pas ce qu’elles veulent pour leur vie et donc divorcer.
L’âge d’or de l’immigration est derrière nous et maintenant il est plus difficile de trouver du travail en Europe, sauf pour quelques personnes alors que la pression sociale exercée sur un certain nombre d’épouses d’émigrés a des causes financières
Un autre point est à souligner. J’ai rencontré des jeunes filles, notamment à Louga, qui disaient avoir dans leur famille au moins une femme proche qui était mariée à un émigré et elles voyaient la réalité de leur situation, étant dans la même famille. Ce qui fait qu’elles aussi réalisent que ce n’est pas ce qu’elles veulent pour elles-mêmes. Elles veulent une relation de couple, une vie de famille, etc., et il y a de moins en moins le rêve d’épouser un émigré.
Mais ce qui vient en contrepoids, c’est que certaines femmes vont maintenant se dire qu’elles sont elles-mêmes capables d’émigrer. Elles ne vont pas attendre qu’un homme émigre et leur donne de l’argent, elles vont se dire qu’elles sont capables d’y aller, et penser qu’elles vont plus facilement trouver du travail : en tant que nounou, en tant que femme de ménage etc. Ces situations décrites reflètent généralement le cas du Sénégal.
En Côte d’Ivoire, j’ai décidé de rencontrer des femmes de classe moyenne, citadines, et qui étaient dans la plupart des cas indépendantes financièrement. C’est donc un contexte différent. Sans généraliser, on note tout de même que leurs raisons d’épouser un émigré relèvent plus d’une question de prestige social, certes comme au Sénégal, mais à un plus haut niveau. C’est bien vu par la société d’avoir un mari qui travaille à l’étranger, plus particulièrement en Occident, comme si on montait d’un cran dans l’échelle sociale, même si ces femmes sont indépendantes financièrement.
Quelles sont les conséquences de ces difficultés dans la vie de ces femmes?
Les conséquences peuvent se noter sur le plan sentimental. C’est très difficile de vivre sans son époux de longues années. Les maris vont certes appeler leur famille de temps en temps mais plusieurs n’ont pas une discussion très poussée avec leurs femmes. Ces dernières sont parfois incapables de dire dans quelle ville ou dans quel pays ils sont, et parfois elles ont peur de découvrir que l’époux est en train de se créer une autre famille.
Malheureusement, c’est régulièrement le cas ; l’homme a une épouse en Europe, fonde une famille qui, elle aussi, ne connaît pas l’existence de l’autre famille en Afrique. C’est donc difficile d’être celle qui reste, qui n’est pas avec son mari, qui n’a pas forcément de droit de regard sur ce qu’il fait, et ne sait pas forcément ce qu’il se passe. Cette solitude et cette inquiétude sont parfois difficiles à gérer pour les femmes qui en sont victimes.
Ces dernières sont parfois incapables de dire dans quelle ville ou dans quel pays ils sont, et parfois elles ont peur de découvrir que l’époux est en train de se créer une autre famille
La pression de la famille n’est pas non plus à négliger. Dans certaines belles-familles, tout se passe très bien, les belles-filles s’entendent très bien avec les belles-mères, les belles-sœurs, les beaux-frères, les tantes etc. Dans d’autres familles, les relations sont plus compliquées. Il y a une maltraitance morale qui fait qu’on voit la belle-fille comme une bonne à tout faire, celle chez qui on va récupérer l’argent à la fin du mois. Il y a aussi une maltraitance physique car ces femmes se font frapper.
C’est difficile pour ces femmes quand elles ont des enfants car elles espéraient pouvoir mettre leurs enfants dans de bonnes écoles ou au moins pouvoir leur payer leur scolarité mais au fil du temps, elles se rendent compte que ce n’est pas si facile parce qu’il n’y a pas assez d’argent. Finalement, c’est dur de voir qu’on ne peut pas organiser l’avenir de son enfant comme on l’aurait voulu.
Ces mariages avec les émigrés sont-ils guidés par l’amour?
Il y a des mariages d’amour comme il y a des mariages de raison. J’ai rencontré une femme pour laquelle c’était vraiment un mariage d’amour. Avec son compagnon, ils ont créé ce projet de migration ensemble. Il a décidé de partir mais il y avait toujours un contact. C’était une cellule familiale soudée où la femme avait la possibilité d’aller le voir en Italie. Ils avaient construit une relation à distance, mais une vraie relation. Au bout du compte, le mari, après avoir fait un peu d’économies, est revenu à Louga. Ils ont acheté un terrain, ils ont acheté un champ. Lui travaille dans le champ, ils sont ensemble, ils sont heureux, ils ont eu un deuxième enfant. Ce sont des cas qui arrivent, heureusement, mais cela reste une minorité parmi tous les cas.
Il n’y a pas de statistiques mais en discutant avec des personnes ressources dans les centres de santé, à la gendarmerie, on a pu constater un lien entre l’avortement et la situation des femmes d’immigrés
La plupart du temps, ce sont des mariages de raison. Il y a une pression sociale sur la jeune fille – qui peut être très influencée par ce qu’on décide de lui montrer : les biens matériels des épouses d’émigrés qui en ont – et elle espère alors qu’elle pourra avoir la même chose sans les complications qui vont avec. La pression peut aussi venir particulièrement de sa propre famille pour qu’elle épouse un émigré parce que ce sera gage de richesse, et cette richesse pourra profiter à toute la cellule familiale.
Existe-t-il une corrélation entre l’avortement clandestin, l’infanticide et la situation des épouses d’émigrés?
Il n’y a pas de statistiques mais en discutant avec des personnes ressources dans les centres de santé, à la gendarmerie, on a pu constater un lien entre l’avortement et la situation des femmes d’immigrés. On ne dit pas par là que le lien est important, il faut faire très attention à rester mesuré sur cette question parce qu’encore une fois, il n’y a pas de chiffres. Mais si on regarde dans les journaux, dans les faits divers, lorsqu’il y a des infanticides, c’est dans les foyers d’émigration.
On peut aussi présumer que pour une épouse d’émigré qui aurait eu des relations extraconjugales ayant abouti à une grossesse, il serait difficile de garder cet enfant parce que c’est déshonorer son époux, c’est déshonorer sa famille, sa belle-famille, soi-même. Donc certaines font le choix douloureux de mettre fin aux jours de leur enfant lorsqu’il vient de naître ou de l’abandonner. Il est plus facile de retracer ces infanticides ou ces cas d’abandon que de parler des avortements clandestins sur lesquels je ne peux pas beaucoup me prononcer.
Photo : WATHI
2 Commentaires. En écrire un nouveau
je suis étudiant à l’UCAD votre thème m’a beaucoup impressionné car j’écris mon mémoire de fin d’étude sur le vécu social des épouses d’émigrés.
Salut cheikh
Je suis une fille qui vi en italie et j’entraine d’ecrire ma These sue cet theme, j’aimerai que tu me donne des conseils merci