L’Afrique représente 1,5% du commerce international. Elle abrite les pays les plus pauvres de la planète malgré ses innombrables richesses naturelles. Les dix pays au développement humain le plus faible selon le Rapport sur le Développement Humain (RDH, PNUD) de 2013 sont tous des pays africains (la Guinée-Bissau en 177ème position, suivie par le Mozambique, la Guinée, le Burundi, le Burkina Faso, l’Érythrée, la Sierra Leone, le Tchad, la République centrafricaine, la République Démocratique du Congo, et enfin le Niger en 187ème position). Comment expliquer de manière lucide et rationnelle cet état de manque permanent?
De manière froide et dépassionnée, il urge de poursuivre l’analyse des causes profondes de cet état de fait sans ressentiment ni mauvaise conscience. Sans prétendre cerner toutes les raisons de ce retard, nous nous fixons pour objectif d’analyser la contribution du système éducatif dans le cas spécifique de la Côte d’Ivoire. Les idées préliminaires et introductives ci-dessus mentionnées nous permettent de fixer les dimensions de notre problématique en nous orientant sur deux directions de recherches dont l’objectif est : d’évaluer le système éducatif ivoirien et d’élaborer quelques pistes suggestives.
Le système éducatif ivoirien face aux enjeux géostratégiques
Pour un pays qui aspire au développement – entendu comme le passage qualitatif d’un état de manque permanent à un état d’abondance avec pour indicateurs le PIB (Produit intérieur brut), le niveau d’éducation, l’espérance de vie comme le recommande le Rapport sur le développement humain, notre système éducatif devrait pouvoir fournir des réponses adéquates à la transformation et à la conservation de nos ressources : café, cacao, hévéa, palmier à huile, anacarde, cola et coton!
Cela nous permettrait de faire le saut qualitatif d’un avantage comparatif à un avantage compétitif et décisif. Fort malheureusement, rares sont les compétences techniques, organisationnelles, relationnelles et d’adaptation (la « Roue des compétences » de Claude Flück) significatives que l’on peut acquérir en se formant dans nos universités et grandes écoles.
Pouvons-nous estimer le tonnage de productions telles le gombo, les aubergines, le piment, la tomate, la banane, l’igname… qui pourrit dans les plantations? Aussi n’est-il pas exagéré de dire que, depuis le 17ème siècle, l’Ivoirien vit de… cueillette et de pêche! Nous ne savons que sécher les fèves de cacao et les vendre selon les prix fixés par la communauté financière internationale. Les compétences techniques pour faire face à la géopolitique de l’agriculture ivoirienne nous font défaut.
Quels diplomates pour l’éco-diplomatie et la géostratégie de l’heure si nous acceptons de définir la puissance comme la capacité de faire, de faire faire et d’empêcher de faire? Quels énarques pour la gestion du foncier, la diplomatie culturelle, le rayonnement de la Côte d’Ivoire? En termes d’intelligence économique et de veille concurrentielle, notre système éducatif peut-il renforcer les compétences des cadres des ministères du commerce, de l’industrie en vue du leadership sous régional?
Parlant d’intelligence militaire, quelle réponse donnerait notre université face à l’avancée du terrorisme? Quels sont les ouvrages au programme dans nos lycées et collèges? Dans nos facultés de lettres et sciences humaines? Dans nos Unités de formation et de recherches (UFR) d’économie et de sciences politiques? Ces ouvrages préparent-ils les apprenants à prendre notre destinée d’Ivoiriens en main en toute responsabilité ou alors ne font-ils que développer la pauvre et paresseuse mentalité d’éternels assistés?
Les centres de recherches et autres laboratoires n’existeraient que de nom. L’on se souvient de la grève des professeurs et étudiants de la faculté de médecine au motif qu’il n’y avait pas de matériel pour les travaux dirigés. La bibliothèque de l’université Félix Houphouët Boigny n’est rien d’autre qu’une salle d’études.
Aussi diverses images des édifices en lambeaux du lycée scientifique de Yamoussoukro, centre d’excellence, circulent-elles sur les réseaux sociaux. Et le souci majeur des ministères en charge de l’éducation semble être la paie des salaires et la gestion des grèves menées généralement par la CNEC (Coordination nationale des enseignants et chercheurs) et la FESCI (Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire).
Avec de telles lacunes, il ne peut que sortir de simples exécutants de nos universités et grandes écoles. Quid des compétences managériales en vue des orientations stratégiques? C’est à juste titre que dans le top 100 des meilleures universités africaines (Webometrics), ne figure aucune université ivoirienne contrairement au Burkina Faso, au Ghana et au Sénégal. Aussi l’élite ivoirienne choisit-elle d’inscrire ses enfants dans ces pays si ce n’est en Occident, au Maroc et en Afrique du Sud. Bref, notre système éducatif semble ne pas être prêt à relever les défis de notre temps et de notre espace. Il faudrait essayer de l’adapter.
S’adapter ou périr
Continuer à confier le volet stratégique du développement à des compétences importées ne fait pas de la Côte d’Ivoire un candidat sérieux à l’émergence.
La démarche de l’ingénierie de la formation (Meignant) consisterait à lister les compétences stratégiques; ensuite voir les formations qui permettraient de les acquérir. Que veut notre classe dirigeante? Faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent à l’horizon 2020. Quelles sont les compétences (techniques, organisationnelles, relationnelles, d’adaptation) requises en vue de cette émergence? Continuer à confier le volet stratégique du développement à des compétences importées ne fait pas de la Côte d’Ivoire un candidat sérieux à l’émergence.
En termes de gestion prévisionnelle des emplois et compétences (GPEC), quels sont les objectifs stratégiques à court, moyen et long termes de l’école ivoirienne? Que voulons-nous faire de nos matières premières? Comment comptons-nous exploiter notre sous-sol? Allons-nous continuer de confier les recherches et l’exploitation à des multinationales et nous contenter des 12 à 15% de profit?
Comment espérons-nous parvenir à nous nourrir suffisamment et convenablement? Comment nous procurer un système sécuritaire et défensif digne de ce nom? Comment réduire la mortalité infantile? Et qu’en est-il du taux de femmes qui meurent en couche? Bref, comment devenir maitre et artisan de notre destinée? Pour paraphraser Axelle Kabou, que fait la Côte d’Ivoire pour ne pas refuser, rejeter le développement?
L’on gagnerait à encourager la construction d’universités exclusivement dédiées aux recherches relatives à la transformation et à la conservation de nos matières premières et à la technoscience. Dans cette perspective, le projet de construction d’une université pour les recherches mécaniques à San Pedro (Sud-Ouest de la Côte d’Ivoire) est à saluer.
Songeons à développer et à renforcer les centres professionnels. La Côte d’Ivoire en a une trentaine répartie sur les sites d’Abidjan, Abengourou, Bondoukou, Bouaké, Daloa, Gagnoa, Korhogo, Man, Odienné, San-Pedro, Séguéla, Touba, Yamoussoukro. Demandons-nous ce qu’attend le gouvernement ivoirien pour susciter la création d’un cursus professionnel (Licence Master Doctorat) exclusivement consacré à nos matières premières pendant qu’on y est. Le Cameroun a, au moins, son BTS Cacao (Brevet de Technicien Supérieur) !
Il ne saurait être question de fermer les filières des sciences sociales et humaines. Seulement, il faudra les adapter de sorte à développer l’employabilité des étudiants.
Il ne saurait être question de fermer les filières des sciences sociales et humaines. Seulement, il faudra les adapter de sorte à développer l’employabilité des étudiants. À titre d’exemple, un étudiant inscrit en philosophie devrait pouvoir choisir, sur les huit UV (Unité de Valeur : correspond à un système de crédits) à valider pour passer en année supérieure, cinq UV dans sa filière d’origine et trois UV dans d’autres Unités de formation et de recherches.
Cela permettrait d’étudier la philosophie (cinq UV) tout en suivant des cours de droit constitutionnel (une UV), d’économie générale (une UV) et de communication (une UV) par exemple. A l’heure du numérique, établir des contacts avec des universités occidentales, asiatiques afin d’avoir accès à leurs bibliothèques en ligne ne parait pas si complexe. Et la vulgarisation des langues telles l’anglais, le chinois, le swahili sont à étudier sérieusement.
En contexte de mondialisation, les sentiers isolés ont suffisamment montré leurs insuffisances. C’est la raison pour laquelle nous encourageons des centres régionaux de recherches et développement, des pôles universitaires régionaux. La Côte d’Ivoire, le Ghana et le Cameroun pourraient créer un centre de recherches consacré au Café-Cacao.
Les pays de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) pourraient ouvrir un laboratoire de recherches sur le virus Ebola qui a endeuillé trois pays de la zone… C’est malheureux qu’il n’y ait eu aucune entreprise africaine sérieuse face à l’épidémie du virus Ebola. C’est humiliant que l’Union Africaine n’ait envisagé la création et le financement d’un laboratoire de recherches quand on connait le bilan de ce virus en Afrique. On ne peut réciter quotidiennement les beaux vers du panafricanisme et tourner le regard vers l’Occident en des moments si cruciaux, fuyant ainsi nos responsabilités!
Penser le développement exige une approche complexe et transversale. Reformer le système éducatif sans toucher aux questions fondamentales – telles l’accès au crédit, l’employabilité, la création de richesses, l’égalité des chances aux examens et concours, la définition, la planification et le suivi-évaluation de grands axes stratégiques de notre développement…– ne peut relever le défi du développement économique et social de notre pays.
En 2030, près de 60% de la population ivoirienne aura moins de 30 ans et 60% de cette population sera urbaine. Il urge de réfléchir sur des pistes suggestives afin que cette jeunesse ne soit pas contrainte de ne choisir qu’entre Boko Haram, Melilla et Ceuta. Achille Mbembé a déjà prévenu: faire la guerre est devenu un métier comme tout autre en Afrique!
Au 21ème siècle, on ne peut plus se permettre de regarder l’avenir comme quelque chose qui arrive mais bien comme un projet bien planifié que l’on construit en toute intelligence. Il est urgent de fixer des objectifs stratégiques assez précis à notre système éducatif afin de mieux contrôler notre avenir et non de nous contenter de le prédire.
Des rencontres de différents partenaires stratégiques en charge de la planification et du développement, des questions de l’emploi de la jeunesse… ne peuvent être de trop; à condition qu’il y ait une volonté manifeste de mettre en application les différentes résolutions arrêtées. Ce n’est pas une question de mode. C’est une question de survie!
Source photo : rti.ci
En instance de soutenance d’une thèse en théorie politique à l’université Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan, Sylvain N’Guessan est Consultant en Gouvernance et Justice transitionnelle. Il est également membre de WATHI.