Auteur: Henri-Louis Védie
Docteur d’état ès sciences économiques (Paris Dauphine) et diplômé d’études supérieures de droit (Paris I), Henri-Louis Vedie est Professeur émérite (Groupe HEC Paris). Il est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages, dont les derniers ont été consacrés aux fonds souverains et à l’économie marocaine.
Organisation affiliée: Policy Center for the New South
Date de publication: Septembre 2019
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Site de l’organisation : Policy Center for the New South
La question de choix d’un système monétaire à parité fixe ou flexible émerge au cœur des débats actuels en Afrique de l’Ouest sur la création annoncée de l’Eco, en tant que monnaie unique pour la région. WATHI a choisi cette note sur la politique monétaire du Maroc, un pays qui dispose de sa propre monnaie, car elle apporte des précisions sur les fondamentaux économiques des deux systèmes monétaires.
En outre, nous avons choisi ce document parce qu’il met en exergue les avantages et les inconvénients de plusieurs régimes de change. Quant au Maroc, sa monnaie a connu, depuis sa création en 1957, différents régimes de change, dont principalement le régime de change fixe. En janvier 2018, le Maroc s’est lancé dans une phase de transition, passant du régime de change fixe au régime flexible. Il est intéressant de voir dans ce document, la manière dont les changements ont pu s’effectuer et quelles ont été leurs répercussions sur l’économie du Maroc, en tant que pays responsable de sa politique monétaire.
Le Maroc a connu globalement un régime à parité fixe de 1973 à 2017. A sa création, le Dirham était rattaché au Franc français. Par la suite, cette monnaie a été rattachée à un portefeuille de 9 devises (8 devises européennes et le Dollar américain) jusqu’en 1999, où l’Euro remplace les devises européennes. Il faut retenir que ce régime a permis d’éviter au royaume de subir les effets directs de la crise financière de 2007-2008. Grâce à la stabilité du cours du Dirham, il a contribué fortement à l’instauration d’un climat de confiance des investisseurs étrangers et au maintien de la stabilité macro-économique.
Depuis 2018, le Maroc transite du régime de change fixe au régime flexible. Avec le Dollar comme monnaie de référence, le taux de change est désormais établi par le marché change avec une bande de fluctuation de 5%. Pour une première année d’expérience, le bilan est satisfaisant : les différents mouvements du cours sont contenus dans la bande des 5% et l’on observe une stabilité des réserves de devises. Les autorités monétaires du Maroc prévoient une période de transition de quinze années pour que la flexibilité soit totale.
En s’inspirant de ce document, il faudrait en premier lieu retenir que tout régime de change a ses avantages et ses inconvénients. Le système à parité fixe tend à maintenir la stabilité macro-économique alors que le change flexible vise la compétitivité. Aussi, un régime de change est choisi en fonction des objectifs économiques d’un pays ou d’un groupe de pays.
Les extraits suivants proviennent des pages: 1-4 ; 6
Change fixe et change flottant : les fondamentaux économiques et leur environnement historique
Un régime de change désigne l’ensemble des règles par lesquelles un pays, ou un ensemble de pays organisent la détermination de leur taux de change, c’est-à-dire le cours auquel va s’échanger une monnaie contre une autre. S’il existe une grande variété possible de régimes de change, tous se retrouvent plus ou moins dans les deux régimes, que sont le régime des taux de change fixe et le régime des taux de change flottant. Avant de voir les fondamentaux, les avantages de l’un et de l’autre, il nous faut préciser que la convertibilité d’une monnaie ne se confond pas avec son régime de change.
Dans un régime de change fixe, le cours d’une devise est fixé par rapport à une monnaie étalon ou par rapport à un panier de monnaies, par la banque centrale qui l’émet.
La convertibilité d’une monnaie, c’est la possibilité d’être échangée librement contre une autre monnaie. Et la libre convertibilité n’est pas, pour autant, synonyme de « régime de change flottant ». Si la majeure partie des pays les plus développés, Etats-Unis, Canada, Grande-Bretagne, zone Euro, Japon etc… ont des monnaies librement convertibles, d’autres continuent d’avoir une politique monétaire visant à maîtriser la quantité de leur monnaie nationale convertible.
Il en est, ainsi, de la Roupie indienne et du Real brésilien qui ont vu leurs pays respectifs opter pour un régime de change flottant, tout en limitant, via leur banque centrale, la convertibilité de leur monnaie, gardant le contrôle sur la masse monétaire des devises en circulation. C’est la raison pour laquelle on ne peut, par exemple, en France, acheter du Real ou de la Roupie avant de se rendre dans ce pays, le seul moyen de les obtenir étant d’être présent physiquement sur place, au Brésil et en Inde.
Le régime de change fixe, régime dominant entre 1945 et 1971
Dans un régime de change fixe, le cours d’une devise est fixé par rapport à une monnaie étalon ou par rapport à un panier de monnaies, par la banque centrale qui l’émet. Ce cours est appelé cours pivot ou, encore, parité fixe. C’est le taux de change de référence qui peut être autorisé à fluctuer de plus ou moins quelques pourcentages. C’est ce qu’on appelle la marge de fluctuation.
L’autorité monétaire du pays est alors tenue de défendre le cours pivot à l’intérieur de cette marge autorisée, en vendant ou en achetant sa propre monnaie, selon qu’elle s’est trop appréciée ou, au contraire, trop dépréciée. Il est toujours possible de modifier le cours pivot, à la hausse/réévaluation, à la baisse/dévaluation/. Cela peut être fait unilatéralement, c’est le cas de la Chine, ou sous certaines conditions comme celles définies dans le cadre des accords de Bretton Woods.
Il existe différentes formes de régimes de change fixe, outre celui donnant lieu à des marges de fluctuations différentes selon la devise concernée. On mentionnera ici, le cas d’une monnaie unique et commune à plusieurs pays, l’Euro par exemple, où la Banque centrale établit des taux de change fixes et irrévocables avec l’Euro, pour les monnaies nationales des pays l’ayant choisi.
Autre exemple, celui de la Livre sterling en 1992, alors en régime de change fixe où, à l’initiative de Georges Soros, considérant le cours de la Livre sterling surévalué, des ventes massives de la devise anglaise ont lieu sur le marché des changes, conduisant la Banque centrale à intervenir massivement pour soutenir son cours pivot, sans pouvoir finalement éviter sa dévaluation.
Enfin, dernier exemple plus récent, celui de la Banque Nationale Suisse, dans les années 2010, retentant l’expérience d’un régime de change fixe entre l’Euro et le Franc suisse, avec une bande de fluctuation très large, le taux plancher étant de 1,20, et ce afin d’éviter, cette fois, une trop forte appréciation du Franc suisse, pénalisant ses exportations. Cela va coûter des dizaines de milliards à la BSN et s’arrêter en janvier 2015. Suite, alors, aux achats massifs de Franc suisse qui vont suivre sur les marchés financiers, on va constater, en quelques minutes, un effondrement de la parité Euro /Franc suisse, passant de 1,20 son taux plancher à 0,80 son taux plafond, pour se stabiliser, ensuite, autour de 1,05. Depuis, le régime de change de la Suisse est le régime de change flottant.
Ces différents exemples montrent bien les avantages et les limites de ce système. Son avantage indéniable est qu’il évite, pour ceux qui le pratiquent, le risque de change. Encore faut-il que l’on ne procède pas à des révisions du taux pivot, ce qui est toujours possible sous certaines conditions. Les limites tiennent à ce que ce régime suppose implicitement que les économies, par exemple de deux monnaies, n’évoluent pas de façon divergente, en particulier dans le domaine de l’inflation, sous peine de voir lors le pays à forte inflation épuiser ses réserves de change pour garantir la parité.
Enfin, convient-il de bien distinguer dans ce système parité fixe et cours forcé. Dans les deux cas, la parité est fixe et supposée stable, mais dans l’hypothèse du cours forcé, cas de la Chine, aujourd’hui, il n’y a pas de marché de change, l’État fixant unilatéralement le cours de sa monnaie.
Le régime de change flottant, régime dominant
Le régime de change flottant est celui où le taux de change est déterminé par les marchés financiers, en fonction de l’évolution de l’offre et de la demande de la devise concernée. C’est, aujourd’hui, le régime de change des pays développés. En théorie, les banques centrales n’interviennent pas sur le marché pour orienter le cours de la devise. Mais, la réalité est toute différente, les principales banques centrales intervenant sur le marché pour influencer le cours de leurs devises respectives. Ceci est particulièrement fréquent avec la Banque centrale japonaise, cherchant régulièrement à dévaluer le Yen face au Dollar pour défendre ou relancer les exportations japonaises.
Le cas d’une monnaie unique et commune à plusieurs pays, l’Euro par exemple, où la Banque centrale établit des taux de change fixes et irrévocables avec l’Euro, pour les monnaies nationales des pays l’ayant choisi.
Dans un régime de change flottant, le taux de change varie selon le rapport offre/demande et permet, théoriquement, un retour à l’équilibre de la balance des paiements, si la banque centrale n’est pas intervenue pour modifier le cours de la devise. On distinguera donc, le régime de change sans intervention de la Banque centrale, qualifié de «flottant pur», de celui où elle intervient, qualifié de «flottant administré».
Comme on peut le constater, aujourd’hui, le régime des changes flottants donne lieu à différents cas de figure. S’il réduit incontestablement les tensions spéculatives sur les marchés des devises, par contre, l’intervention des banques centrales, de plus en plus fréquente sur le marché des changes, la non-intervention étant l’exception, est un biais qui nuit à son efficacité, contribuant, le plus souvent, à réduire les réserves de change de leurs pays respectifs.
Le régime de change marocain entre 1957 et 2015
Rattaché, depuis sa création le 17 octobre 1959, au Franc français par une parité fixe jusqu’en mai 1973, le Dirham va connaître un nouvel ancrage à partir de cette date, rattaché, désormais, à un panier de neuf devises. Avec l’avènement de l’Euro, en 1999, les devises européennes sont remplacées par l’Euro, limitant à deux devises, Dollar et Euro, la composition du panier de devises auquel se rattache le Dirham. En 2015, la pondération entre Dollar et Euro est modifiée.
En 2015, la Banque centrale marocaine va modifier la pondération Dollar/Euro, augmentant celle du Dollar, en la portant à 40 %, et en réduisant d’autant celle de l’Euro, désormais à 60 %, tenant compte d’une augmentation des échanges commerciaux hors de l’Union européenne (UE)
En 1973, les 9 devises constituant ce portefeuille sont, entre parenthèses, la pondération de chacune d’entre elles : Franc français (38%), Dollar américain (15%), Pesete espagnole (15%), Lire italienne (8%), Livre anglaise (8%), Deutsche Mark (7%), Franc suisse (4%), Franc belge (3%) et Florin hollandais (2%).
En élargissant ce portefeuille de devises à celles des pays avec lesquels les échanges commerciaux sont les plus importants, en tenant compte de l’importance de ces échanges et de leur répartition géographique dans la pondération, on minimise l’incidence des changements de parité de ces devises sur le cours du Dirham, ces changements donnant lieu à des fluctuations dans des sens différents.
L’Euro remplace les monnaies européennes dans le portefeuille / Dirham à partir de 1999. Le portefeuille de devises se compose, alors, de l’Euro et du Dollar américain, avec une pondération 20% Dollar et 80% Euro à partir d’avril 2001. Avec deux devises qui évoluent régulièrement en sens inverse, on minimise encore davantage l’incidence de l’évolution de leurs cours respectifs sur celui du Dirham. La formule alors utilisée pour la cotation est la suivante:
Un DH= (20% cours de référence $ +80 % cours de référence Euro) x cours Euro/Dollar.
Cette pondération va durer jusqu’en 2015. L’objectif était, alors, de réduire la fluctuation du Dirham par rapport à l’Euro, monnaie de son premier partenaire commercial. Objectif atteint, puisqu’en dehors de la dévaluation du dirham de 5%, au lendemain de la mise en place de ce système de cotation, en vigueur depuis le 25 avril 2001, la valeur de l’Euro par rapport au Dirham a crû seulement de 9,2% entre 2001 et 2007, celle du Dollar par rapport toujours au Dirham se dépréciant de 52,2%. Cette forte appréciation de la monnaie marocaine par rapport au Dollar va aussi la conforter par rapport à des monnaies qui comptent dans le contexte international : Livre sterling, Yen japonais, Franc suisse. Dans ces résultats, le choix de la pondération a été déterminant.
Nouvelle pondération Euro/Dollar dans le portefeuille /Dirham à partir de 2015
En 2015, la Banque centrale marocaine va modifier la pondération Dollar/Euro, augmentant celle du Dollar, en la portant à 40 %, et en réduisant d’autant celle de l’Euro, désormais à 60 %, tenant compte d’une augmentation des échanges commerciaux hors de l’Union européenne (UE). Cette pondération ne sera pas modifiée et perdure encore aujourd’hui.
De 1973 à 2017, le régime de change marocain a été globalement celui des parités fixes avec, cependant, une très petite marge de fluctuation de 0,3%, donnant lieu à un corridor de 0,6%, à l’intérieur duquel la banque centrale peut intervenir pour acheter ou vendre sa devise. Ce régime de change a permis au Maroc de ne pas être directement impacté par la crise financière internationale de 2007-2008. En stabilisant le cours du Dirham, il a également fortement contribué à l’amélioration du climat de confiance des investisseurs étrangers. Enfin, il va jouer un rôle important dans le maintien de la stabilité macro-économique du pays, facilitant l’ancrage des anticipations du pays. Grâce à la stabilité de la monnaie, l’épargne a été stimulée et la spéculation enrayée.
Un an de recul : un premier test de la flexibilité du Dirham réussi
Sur la seule année 2018, les extrêmes enregistrés en termes de fluctuation du cours du Dirham sont respectivement à la hausse + 0,38% et à la baisse – 1,51 %. Soit très loin des limites de la bande de fluctuation de -2,5% et 2,5% . Rappelons que la monnaie de référence choisie par la Banque centrale marocaine étant le Dollar, cela signifie qu’une dépréciation du Dirham à l’intérieur de la bande de fluctuation indique son renforcement face au Dollar, son appréciation indiquant, au contraire, sa dépréciation.
Il n’y a, donc, pas eu d’effet de panique et encore moins de dépréciation significative du Dirham, et ce malgré la non-intervention de la Banque centrale, les différents mouvements étant contenus dans la bande de fluctuation, sans même en frôler les limites. Concernant les réserves de devises, c’est aussi la stabilité qui les caractérise, avec environ 230 MM de Dirhams, ce qui représente un peu plus de cinq mois d’importations.
Source photo : leconomiste.com