Salimata Monsely Bonnaire
Dans le cadre du débat sur le changement climatique et les questions environnementales en Afrique de l’Ouest, WATHI a rencontré Salimata Monsely Bonnaire, la directrice de « Zéro Déchet », une association de protection de l’environnement qui milite pour la réduction et une gestion plus durable des déchets au Sénégal. Très engagée et déterminée, elle a partagé avec WATHI sa vision au sujet de la protection de l’environnement et du cadre de vie au Sénégal.
Est-il possible de protéger l’environnement et le cadre de vie des Sénégalais sans freiner le développement du pays ?
Je pense qu’il faut juste une volonté politique pour mettre en place certains mécanismes et des lois afin de veiller à une certaine discipline de la population en matière de protection de notre cadre de vie. Il faut que les lois soient respectées et que chacun soit conscient que c’est notre avenir, notre pays qui est en jeu. Il faut être patriote et tout faire pour conserver notre pays propre et beau afin d’y vivre agréablement. Les déchets ont des conséquences graves sur la santé publique ainsi que sur le mental.
Imaginons qu’on se lève le matin et qu’on voit un dépôt d’ordures devant son domicile, avec toutes ses odeurs, c’est tellement désagréable. il est préferable d’avoir un paysage beau et propre plutôt qu’un paysage encombré par des déchets. Comment peut-on se développer économiquement quand on ne se sent pas bien ni mentalement ni physiquement? Si vous n’avez pas une bonne santé, comment pouvez-vous aller travailler pour contribuer au développement du pays?
Quels sont les mécanismes mis en place pour assurer la gestion des déchets au Sénégal ?
J’ai une fois entendu un membre de l’Unité de coordination de la gestion des déchets (UCG) dire qu’ils ont mis en place une application qui s’appelle « Settal 2.0 ». Cette application est censée être utilisée par toute personne résidant au Sénégal pour signaler les déchets qu’ils soient solides ou liquides et les dépôts sauvages d’ordures. La personne leur envoie une photo des déchets trouvés et, grâce à la géo-localisation, l’UCG peut agir au bout de quelques jours.
Mais ils avouent eux-mêmes que l’application ne fonctionne pas encore. Cela se comprend car ils n’ont pas informé la population à propos de cette application. Nous avons un outil mais qui n’est pas utilisé pour le moment. Il y a d’autres mécanismes qui sont en place et qui ne servent pas non plus. Il y a une loi sur l’interdiction des sachets en plastique mais ces derniers sont vendus partout. Pourquoi vote-t-on des lois qui ne sont pas appliquées ? Il n’y a pas d’application, il n’y a pas de suivi ni de sanctions.
Que pensez-vous de l’initiative « zéro déchet » mise en place par le gouvernement?
Je ne sais pas s’il y a un guide du programme qui a été distribué aux ministères ou aux collectivités locales pour expliquer cette politique « zéro déchet ». Dans la commune des HLM et celle de Liberté 6 à Dakar , j’ai une fois vu des réunions pour lancer un « programme zéro déchet ». Lors de ces lancements, on voit un groupe de politiciens et leurs sympathisants qui viennent avec des brouettes et des balais, ils font du nettoyage, puis ils s’en vont. On ne voit pas de message, on ne voit pas d’action à destination des populations. Il n’y a pas de sensibilisation auprès des populations, on ne les implique pas. C’est juste du « m’as-tu vu ». On ne sait pas ce qu’ils ont prévu vraiment parce que jusqu’à présent, ce sont juste des actions de nettoyage qu’on voit.
D’après moi, le concept de « zéro déchet » n’a pas été bien compris par les décideurs. Ce qu’ils devraient comprendre c’est qu’il faut freiner la production des déchets, il ne s’agit pas de cacher les déchets qui sont produits et de les concentrer quelque part. Il faut agir en amont, revoir nos modes de consommation. Ensuite, il faut voir comment faire pour que ces modes de consommation n’impactent pas trop sur la production de déchets.
Pourquoi vote-t-on des lois qui ne sont pas appliquées ? Il n’y a pas d’application, il n’y a pas de suivi ni de sanctions
Quels sont les procédés disponibles au Sénégal pour la gestion des déchets dangereux, tels que les déchets électroniques?
Du côté de la société civile, il y a la « SetTic » qui récupère et revalorise les déchets électroniques. Ce que je trouve aberrant c’est que j’ai l’impression que ça ne suffit pas que nous ayons nos propres déchets. On nous ramène des déchets d’ailleurs. Nos bureaux se trouvent dans une zone industrielle et tout juste à côté, il y une sorte de dépôt de ferrailles. Régulièrement, il y a des camions qui viennent pour y débarquer des déchets électroniques et mécaniques. Les mécaniciens et d’autres gens récupèrent ce qu’ils peuvent récupérer mais qu’est-ce qui se passe avec ce qui reste ? Même ce qu’on récupère pose des problèmes. Imaginez qu’un mécanicien utilise une de ces pièces pour réparer votre voiture. Cela peut être un danger pour vous ou pour l’environnement. Ces déchets constituent une grave menace pour la santé des populations et contre l’environnement.
Comment réussir à rendre plus consciente la population sur la question de l’environnement et rôle fondamental qu’il joue dans leur vie quotidienne?
La communication est essentielle, notamment à travers les médias, des affiches et des actions concrètes sur le terrain auprès des populations. Ne serait-ce que les faire participer à une sorte de diagnostic de leur cadre de vie. Nous pourrions leur faire voir ce qu’il y avait déjà avant, car le Sénégal n’a pas toujours été comme cela. Quand j’étais plus jeune, il y avait ce projet de rendre Dakar comme Paris en 2000. On est en 2019 et Dakar est pire que ce qu’il était en 1960. Avec des images d’archives et les témoignages des anciens, nous pourrions montrer comment Dakar était une ville propre.
Il faut freiner la production des déchets, il ne s’agit pas de cacher les déchets qui sont produits et de les concentrer quelque part. Il faut agir en amont, revoir nos modes de consommation
Avant, les agents des services d’hygiène passaient régulièrement dans les domiciles pour veiller à la propreté, au maintien de la propriété des latrines, au bonnes pratiques dans la gestion des déchets, etc. L’objectif était d’éviter les problèmes de santé publique. Mais aujourd’hui, on ne voit plus cela. On parle de chômage alors qu’on pourrait transformer la protection de l’environnement en une opportunité de création d’emploi pour les jeunes.
Il faut faire prendre conscience aux populations de l’état actuel des choses. Ces activités de sensibilisation doivent être accompagnées par un système public effectif de ramassage des déchets ordinaires. C’est vrai que le mécanisme actuel mis en place par l’UCG est bien organisé mais on peut faire plus.
Quelles recommandations feriez-vous aux décideurs politiques?
Je leur demanderais d’être plus patriotes. On voit dans quel cadre ils habitent, on voit leur mode de vie ; ils tiennent à la propreté, à l’hygiène et à leur santé. Quand ils tombent malades, ils ne se soignent pas dans nos hôpitaux, leurs enfants ne vont pas dans nos écoles publiques. Qu’ils soient plus patriotes ! Je leur dirais qu’ils fassent en sorte que la qualité de vie à laquelle ils aspirent soit la même que celle du reste de la population.
On parle de chômage alors qu’on pourrait transformer la protection de l’environnement en une opportunité de création d’emploi pour les jeunes
Il faut être patriote et respecter la population qu’ils sont entrain de diriger parce que si ce n’était pas grâce au vote de la population, ils n’occuperaient pas leurs postes. Si la population ne voulait plus d’eux, ils n’y pourraient rien. On ne doit pas arriver à un niveau de déception et de colère incontrôlables. Il faut prendre le taureau par les cornes, être patriote, un vrai Sénégalais, aider le pays à aller de l’avant et faire ce qu’il faut.
Crédit photo : Teranga News
Salimata Monsely Bonnaire est la directrice de « Zéro Déchets », une association de protection de l’environnement qui milite pour la réduction et une gestion plus durable des déchets au Sénégal.