Hippolyte Éric Djounguep
Union africaine: les enjeux premiers
Dans un monde où l’hégémonie occidentale, russe et chinoise sont de plus en plus critiquées voire contestées, l’Union africaine (UA) vise à se construire l’image ou la représentation bonifiée d’un acteur anti-impérialiste qui œuvre pour la pluralité du monde et pour l’autre mondialisation, celle de ceux qui sont nés de l’autre côté de l’ordre mondial.
Elle se pose de plus en plus en force de contestation de l’ordre impérial ayant pour ambition de contrebalancer et de faire contrepoids à l’hégémonie occidentale d’une part et sino-russe d’autre part dans la conduite des affaires du monde, militant ainsi pour une démocratisation des relations internationales. Cette logique de représentation et d’action peut être davantage perçue à la lumière de l’opposition de l’Union africaine non seulement à l’intervention occidentale en Libye en 2011, mais aussi dans ses propositions post-électorales en Gambie en 2016 et dans les processus de sortie de crise politico-sociale au Soudan du Sud, en République Démocratique du Congo, au Cameroun entre autres.
En se fondant sur l’évolutionnisme très présent dans les sociétés humaines, l’intégration, qu’elle soit en Afrique ou ailleurs dans le monde post-moderne, repose sur les logiques et les dynamiques de positionnement de l’organisation supranationale comme pôle d’équilibre et de régulation dans la mondialisation. Les évolutions précédentes de l’actualité africaine facilitent la compréhension de la volonté de l’Union africaine de se poser en un pôle d’influence pertinent, capable d’offrir des avenues de différenciation et de résistance vis-à-vis de l’hégémonie occidentale dans la globalisation actuelle. Seulement, il convient de relever que cette posture s’avère sérieusement fragilisée par l’impuissance géoéconomique globale des pays africains et par le déficit de structuration d’une union africaine économique solide et solidaire.
L’impuissance géoéconomique globale des États et gouvernements de l’institution panafricaine
Pour se rendre à l’évidence de la fragilité géoéconomique globale de l’Union africaine , il suffit de constater qu’elle ne dispose que d’une grande puissance économique d’envergure planétaire, et que par ailleurs elle possède en son sein une infinité de pays peu développés et peu influents sur le plan économique. Dans un monde où la dimension économique pèse lourd dans l’échelle des valeurs globales, il devient donc difficile pour l’Union africaine d’exercer une activité d’équilibration pertinente, et se poser en pôle de la mondialisation multipolaire face à l’«hyperpuissance» américano-européenne et sino-russe.
L’Union africaine vise à se construire l’image ou la représentation bonifiée d’un acteur anti-impérialiste qui œuvre pour la pluralité du monde
L’espace panafricain n’est pas totalement exempt ou entièrement vide de pays développés sur le plan économique. C’est dire qu’il serait visiblement erroné et manifestement injuste d’affirmer qu’aucun pays africain ne réussit à sortir du lot et à se faire reconnaître – ou, du moins, à avoisiner – le rang de puissance économique à l’échelle du monde. A ce niveau, la plupart des observateurs penseront spontanément à l’Afrique du Sud, qui ne se contente pas de s’imposer comme la seule grande puissance économique de la confrérie panafricaine, mais se présente aussi comme un leader sur le plan économique mondial.
En effet, l’Afrique du Sud fait partie du groupe très restreint des pays qui pèsent lourd dans la géoéconomie et la géopolitique mondiales. En dépit des difficultés que ce pays endure du fait de la crise financière mondiale actuelle, l’on ne saurait lui nier son statut de puissance économique aux échelles africaine et mondiale. En outre, il convient de ne pas omettre que l’Afrique du Sud est membre du G20.
L’Égypte, présente dans le top 20 des puissances mondiales et membre très influent dans la gestion du conflit israélo-palestinien, rejoint l’Afrique du Sud dans l’échelle des mastodontes qui octroient au continent une place de prestige à bien des égards. Ce prestige hégémonique de ces pays est un poids considérable pour le positionnement de l’UA, organisation d’intégration africaine comme pôle d’équilibre. Aujourd’hui, le continent africain revendique un siège permanent au conseil de sécurité des Nations Unies.
L’Union africaine face à la mondialisation
La nouvelle formulation tous azimuts de la mondialisation génère un ensemble de risques et de dangers, ce qui fonde l’impérieuse nécessité de sa maîtrise et de sa régulation. C’est dans cette perspective que, face aux velléités d’appropriation monopolistique et d’orientation hégémonique de la mondialisation par certains acteurs, l’Union africaine doit affirmer sa volonté de se poser en puissance garante de la préservation des valeurs d’humanité et de solidarité.
C’est ainsi qu’elle devra s’opposer à la conduite de la globalisation libérale contemporaine, se construisant ainsi un rôle de contre-force face à la tentation impériale. Toutefois, il convient de relever que quelques obstacles liés à l’impuissance géoéconomique des pays africains et aux balbutiements de l’Afrique économique entravent la capacité de l’UA à se positionner en un véritable pôle d’équilibre et de régulation de la mondialisation.
Il convient de relever que quelques obstacles liés à l’impuissance géoéconomique des pays africains et aux balbutiements de l’Afrique économique entravent la capacité de l’UA à se positionner en un véritable pôle d’équilibre et de régulation de la mondialisation.
L’espace africain regorge de facultés et potentialités non négligeables en termes d’échanges économiques et commerciaux. Il est donc susceptible de peser de façon sensible dans la géoéconomie mondiale. Seulement, il est important de relever que les échanges économiques entre pays membres de l’UA sont marqués du sceau de l’inégalité et de la disparité, ce qui entraîne une faiblesse caractérisée de la croissance économique africaine et le peu d’attractivité de l’espace UA.
Cette situation de disparité des échanges est un obstacle majeur à la constitution d’un espace économique africain intégré et fort. Les échanges entre pays de l’UA représentent en moyenne 5% de leurs échanges globaux. Un taux relativement bas et qui illustre la fragilité des économies du continent. Une faiblesse qui révèle pourtant toutes les logiques symboliques et structurantes d’un espace en pleine émergence. Ce qui impose toute la réflexion sur l’urgence d’un mécanisme capable de sortir l’Afrique de la “grande nuit”.
Un continent, un État
Dans la perspective du rêve panafricain qu’incarne l’UA, dont l’idéal serait que l’Afrique devienne un seul pays, les données sont plutôt satisfaisantes et placeraient le pays continent dans le «big five» des puissances mondiales avec un PIB à hauteur de 4854 milliards de dollars soit le 5e rang après la Chine, les États-Unis, l’Inde et le Japon. Une population estimée à près de 1,5 milliard d’habitants répartie sur un territoire vaste de 30,5 millions de km2.
La capitale politique serait Addis-Abeba (Éthiopie) et les capitales économiques seraient des villes telles que Johannesburg (Afrique du Sud), le Caire (Égypte), Lagos (Nigéria), Abidjan (Côte d’Ivoire) entre autres. Le pays continent disposerait alors d’une armée constituée de 5 millions de soldats et de 7 millions de réservistes dans les forces en attente. Ce serait le pays le plus vaste du monde avec des ouvertures sur les océans atlantique et indien et frontalier des quatre autres continents. Il serait le deuxième pays le plus peuplé du monde après la Chine. Elle serait la plus grande réserve mondiale des matières premières et des minerais.
La capitale politique serait Addis-Abeba (Éthiopie) et les capitales économiques seraient des villes telles que Johannesburg (Afrique du Sud), le Caire (Égypte), Lagos (Nigéria), Abidjan (Côte d’Ivoire) entre autres.
L’Afrique se porte beaucoup moins bien lorsque ses différents pays sont comptés séparément. Alors sortir le continent du statu quo pourrait consister à relever le défi de la création du ‘‘pays Afrique’’ c’est-à-dire un territoire, un peuple, une instance forte. Au regard de ces données reluisantes et très optimistes, l’Afrique va-t-elle continuer à accepter de figurer au bas de l’échelle des classements économiques mondiaux en évoluant avec chacun de ses États pris en rang dispersé, ou s’engagera-t-elle enfin à unir ses efforts pour occuper, en l’état actuel, la 5e place mondiale qui pourrait être la sienne en termes de PIB?
Crédit photo: Le Matin
Hippolyte Eric Djounguep est un analyste géopolitique et contributeur dans les médias. Il est l’auteur des ouvrages Cameroun-crise anglophone: essai d’analyse post colonial (2019), Géoéconomie d’une Afrique émergente (2016), Perspective des conflits (2014), Conflits et paix (2014), Médias et conflits (2012). Depuis 2012, il s’intéresse aux dynamiques des conflits en Afrique dans la région des Grands Lacs, dans la corne de l’Afrique, dans la région du Lac Tchad et en Afrique de l’Ouest.