Les auteurs
Afrobaromètre : Afrobaromètre est un réseau de recherches panafricain et indépendant qui conduit des enquêtes sur les attitudes du public envers la démocratie, la gouvernance, les conditions économiques, et des questions connexes à travers l’Afrique.
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L’Afrique est souvent décrite dans les médias internationaux comme le continent des divisions ethno-religieuses et de l’intolérance. Ce sondage d’opinion réalisé par Afrobaromètre dans 33 pays présente de nouvelles données sur la tolérance en Afrique en s’appuyant sur les niveaux d’acceptation des autres groupes ethniques et religieux, des immigrés, des personnes vivant avec le VIH/SIDA, ainsi que des homosexuels.
Nous avons sélectionné cette étude qui restitue les résultats d’un sondage réalisé par une institution crédible parce que nous pensons que la tolérance est une valeur fondamentale à promouvoir pour construire des sociétés en paix, démocratiques et prospères. Le fait que des personnes et des groupes aux différents profils identitaires puissent vivre ensemble et coopérer dans la sphère publique, ainsi que dans la vie de tous les jours, constitue une forme de garantie contre divers types de conflits. Dans les pays de la zone WATHI, où des peuples de différentes ethnies, cultures et religions se côtoient quotidiennement et ou peut se poser la question de la place accordée aux minorités, connaître le degré de tolérance actuelle des populations est important pour identifier les possibles actions à envisager par les autorités publiques et la société civile.
L’étude a montré que la majorité des habitants des 33 pays sondés ne trouvaient pas d’inconvénients à vivre à coté de personnes appartenant à un autre groupe ethnique, pratiquant une autre religion, venant d’un autre pays ou vivant avec le VIH/SIDA. Ce n’est qu’au regard de la question de l’homosexualité qu’une majorité des Africains (78%) démontrent des attitudes profondément intolérantes.
En comparaison aux autres parties du continent, les pays de la zone WATHI se montrent particulièrement tolérants envers les personnes de différentes ethnies et les immigrés. Malgré cela, les citoyens ouest-africains démontrent beaucoup moins de tolérance par rapport aux personnes vivant avec le VIH/SIDA (avant derniers, juste devant l’Afrique du Nord) et les homosexuels (également avant derniers, devant l’Afrique de l’Est).
L’étude montre que les personnes interrogées les plus tolérantes sont celles qui ont achevé le cursus d’enseignement secondaire. Cela constitue une raison de plus d’encourager les gouvernements africains à continuer à accorder la priorité aux investissements dans l’éducation, au-delà de l’enseignement primaire. Le document montre aussi que les citoyens africains les plus exposés à l’actualité par la radio, télévision et les médias sociaux démontrent les attitudes les plus tolérantes. Le développement de médias fournissant une information de qualité apparaît ainsi comme un moyen efficace de lutte contre l’intolérance.
Extraits choisis du document
Principales constatations
Résultats clés
- À travers 33 pays, de grandes majorités de citoyens africains démontrent une tolérance envers les autres groupes ethniques (91%), les autres religions (87%), les immigrés (81%), et les personnes vivant avec le VIH/SIDA (68%).
- Les niveaux de tolérance sont particulièrement élevés dans les régions et les pays qui sont diversifiés ethniquement et religieusement, ce qui suggère que l’expérience est un facteur important contribuant à l’attitude de tolérance au sein des populations africaines.
- De même, la tolérance envers les personnes vivant avec le VIH/SIDA est la plus élevée dans les pays à haute prévalence de VIH/SIDA, indiquant que l’expérience personnelle peut conduire à se départir de l’intolérance et de la stigmatisation.
- Cependant, une grande majorité de citoyens africains est intolérante envers les citoyens homosexuels. À travers les 33 pays, 78% de répondants en moyenne affirment qu’ils préféreraient « quelque peu » ou « fortement » ne pas avoir de voisin homosexuel.
- Mais toute l’Afrique n’est pas intolérante envers les homosexuels. La majorité dans quatre pays (le Cap-Vert, la Mozambique, la Namibie, et l’Afrique du Sud), et plus de quatre sur 10 citoyens de trois autres pays, aimeraient avoir des voisins homosexuels ou n’ont pas de problèmes à vivre près d’eux.
- Les chrétiens, les citadins, et les plus jeunes ont tendance à être plus tolérants que, respectivement, les musulmans, ceux qui vivent en milieu rural, et les plus âgés.
La tolérance en Afrique
Sur un continent qui est devenu synonyme de conflits interethniques, c’est abasourdissant (sic) de remarquer que le groupe le moins détesté – aimé ou toléré dans le voisinage de neuf sur 10 répondants – sont les gens d’une autre ethnie. Quand bien même ceci n’implique pas la fin des conflits interethniques, on pourrait en déduire que les décennies d’interaction et les intermariages pourraient graduellement contribuer à diluer la force de l’ethnicité en tant que source de division et de conflits.
Seuls quelques répondants de plus se refusent à vivre près d’autres religions ou d’immigrés; toutes les deux catégories de personnes sont acceptées par plus de huit sur 10 Africains. Beaucoup moins de citoyens – une majorité de deux-tiers, néanmoins – voudraient ou accepteraient avoir des voisins vivant avec le VIH/SIDA, ce qui suggère qu’il y a encore dans certaines parties du continent un niveau significatif de stigmatisation par rapport à l’épidémie du VIH/SIDA.
À l’extrême négative (sic), le citoyen lambda dans les 33 pays se refuse à avoir des voisins homosexuels. Cela n’est peut-être pas surprenant, étant donné que la majorité des pays du continent considèrent les activités homosexuelles comme des crimes. Seuls quelques un sur cinq répondants (21%) affirment ne pas être opposés à avoir des voisins homosexuels.
Les données révèlent des différences évidentes dans le niveau de tolérance des citadins africains par rapport à ceux qui vivent dans des zones rurales, les premiers démontrant des niveaux plus élevés de tolérance au regard de chacune des cinq mesures (Figure 2).
Différences d’un pays ou d’une région à l’autre
Les niveaux de tolérance sur les cinq plans révèlent des différences patentes d’un pays et d’une région à l’autre. En général, les pays d’Afrique du Nord démontrent les niveaux les plus bas de tolérance à tous les indicateurs à l’exception des homosexuels, pour lequel elle se classe avant l’Afrique de l’Est et l’Afrique de l’Ouest (Figure 3).
Les différences suggèrent que la proximité et le contact fréquent entre différents groupes peuvent contribuer à consolider la tolérance. Ceci rappelle un aspect important qui est souvent négligé dans la littérature: La tolérance, et son revers, l’intolérance, ne sont pas immuables mais sont sujets au changement. Cela conforte largement la « théorie du contact » d’Allport (1954), qui postule que dans certaines conditions, le contact interpersonnel peut conduire à une réduction des préjugés entre groupes.
Tolérance envers les personnes d’une autre ethnie
L’on insiste souvent, parlant de la politique africaine, sur le fait que le fractionnement ethnique contribue à la polarisation politique et aux conflits interethniques. Ces rivalités interethniques menacent la consolidation de la démocratie, minent les efforts de construction des nations, et altèrent les performances économiques (Posner, 2004; Branch & Cheeseman, 2009; Bertocchi & Guerzoni, 2012; Jackson, 2002; Berman, 1998; Easterly & Levine, 1997; Goren, 2005; Bratton, 2011).
Alors que cette perspective suggère des niveaux élevés d’intolérance envers les autres groupes ethniques, les résultats d’Afrobaromètre révèlent que ce n’est pas le cas. Plutôt, 91% de répondants à travers 33 pays affirment qu’ils n’y verraient pas d’inconvénient ou désireraient même avoir parmi leurs voisins des personnes d’un autre groupe ethnique. La proportion la plus basse de répondants qui font montre de tolérance envers les personnes d’autres groupes ethniques est de 74% au Maroc et au Swaziland, alors que presque tous les citoyens Sénégalais et Gabonais (99%) accueilleraient volontiers ou accepteraient des voisins originaires d’autres ethnies.
Tolérance envers les autres religions
Alors que presque neuf sur 10 Africains (87%) démontrent de la tolérance envers les autres religions, les citoyens des pays à majorité musulmane, surtout les pays à basse diversité religieuse, sont relativement moins tolérants par rapport au fait d’avoir des voisins appartenant à d’autres religions. Ceci vaut particulièrement pour le Niger, la Tunisie, et le Maroc (tous avec des populations musulmanes à 100%), ainsi que pour la Guinée (88% de musulmans).
Contrairement aux deux pays d’Afrique du Nord où cette question a été posée, et qui se classent presque derniers en matière de tolérance religieuse, l’Afrique de l’Est est la région la plus tolérante, avec une moyenne de 94% de citoyens acceptant les autres religions. Comme pour la tolérance ethnique, les individus les plus instruits et les citadins ont tendance à être plus tolérants envers la différence religieuse que les personnes avec moins d’instruction et les résidents des zones rurales.
Tolérance envers les immigrés
Bien que très peu de pays africains reçoivent plus d’immigrés qu’ils n’ont d’émigrés, les résultats suggèrent qu’il y a un niveau élevé d’acceptation des immigrés dans les rangs des citoyens sur le continent. De façon globale, 81% des Africains affirment qu’ils aimeraient avoir ou que cela n’a pas d’importance pour eux d’avoir des voisins immigrés ou travailleurs étrangers.
Ceci classe les africains parmi les personnes les plus tolérantes envers la migration dans le monde. Par exemple, au creux de la vague la plus récente des enquêtes World Values Surveys (2010-2014), plus d’un tiers des populations du Moyen-Orient (36%) et d’Asie (34%) ont exprimé de l’opposition à avoir des voisins migrants, par rapport à moins d’un cinquième d’Africains. Il n’y a qu’une poignée de pays africains où d’importantes minorités rejettent les immigrés: Le Lesotho (42%), la Zambie (35%), l’Ile Maurice (34%), Madagascar (33%), le Maroc (33%), et l’Afrique du Sud (32%).
Tolérance envers les personnes vivant avec le VIH/SIDA
La notion selon laquelle la proximité et une interaction régulière entre groupes différents peuvent aider à éradiquer les attitudes d’intolérance se reflète également à travers les niveaux de tolérance envers les personnes vivant avec le VIH/SIDA (PVVIH). Dans 26 des 33 pays enquêtés, une majorité de citoyens affirment être favorables ou indifférents au fait d’avoir des PVVIH parmi leurs voisins.
Ceci laisse encore une proportion substantielle de la population (31% en moyenne) qui s’opposerait à avoir des voisins positifs au VIH, une indication s’il en est que la stigmatisation relative au VIH est encore très forte. Par ailleurs, presque huit sur 10 répondants au Niger (79%) et à Madagascar (77%) démontrent de l’intolérance envers les PVVIH, ce qui est également l’avis de la majorité en Sierra Leone (73%), en Guinée (69%), au Maroc (57%), et au Mali (53%).
La tolérance des PVVIH montre une association forte avec la prévalence du VIH/SIDA au niveau national. Autrement dit, les citoyens des pays à prévalence élevée du VIH/SIDA ont tendance à démontrer des niveaux de tolérance élevés envers les PVVIH. Cela n’est peut-être pas très étonnant, étant donné que dans les pays où la prévalence du VIH/SIDA est très élevée, particulièrement dans la région d’Afrique Australe, l’intolérance envers les PVVIH reviendrait à rejeter des proches.
Tolérance envers les homosexuels
Les attitudes négatives de l’Afrique envers les homosexuels sont relayées dans les média d’actualités et, dans une moindre mesure, la littérature académique (Reddy, 2001, 2002; Potgieter, 2006). Les données d’enquête d’Afrobaromètre suggèrent que ces rapports sont vraies, puisque seulement 21% des citoyens dans les 33 pays affirment qu’ils aimeraient ou qu’il ne serait pas important qu’ils aient ou pas des voisins homosexuels.
Cependant, il existe des différences importantes d’un pays à l’autre qui pourraient ne pas être prises en compte dans les agrégats généraux. Dans quatre pays africains, une majorité de citoyens acceptent les voisins homosexuels: le Cap-Vert (74% qui aimeraient fortement/quelque peu ou pour qui ça n’aurait pas d’importance), l’Afrique du Sud (67%), la Mozambique (56%), et la Namibie (55%). Dans trois autres pays, plus de 40% des citoyens affirment ne pas être contre le fait d’avoir des voisins homosexuels: l’île Maurice (49%), São Tomé et Principe (46%), et le Botswana (43%). Ces résultats ne justifient donc pas la présentation de l’Afrique comme universellement homophobe.
Néanmoins, l’intolérance envers les homosexuels demeure répandue, atteignant presque l’unanimité au Sénégal (97%) aussi bien qu’en Guinée, en Ouganda, au Burkina Faso, et au Niger (tous 95%).
Les données montrent également une relation importante entre la tolérance envers les homosexuels et l’âge et le niveau d’instruction des répondants. Les Africains les plus jeunes et les plus instruits tendent à être plus tolérants envers les homosexuels que les Africains plus âgés et les citoyens moins instruits (Figure 10). Ces résultats suggèrent donc que quand bien même les attitudes actuelles sont largement négatives, il est possible que l’Afrique devienne progressivement moins homophobe avec le temps.
L’index de la tolérance
Les réponses à la batterie de questions relatives à la tolérance dans l’enquête d’Afrobaromètre peuvent être combinées pour calculer le score moyen de chaque répondant et chaque pays afin de générer un index de tolérance qui donne une idée des niveaux globaux de tolérance au regard de chacun des cinq éléments (autre ethnie, autre religion, immigrés, PVVIH, et homosexuels). Les scores de l’index de tolérance se placent sur une échelle à cinq points allant de 1 (pour un individu totalement intolérant) à 5 (reflétant constamment une attitude tolérante au regard de chacun des cinq éléments) (Figure 11).
Recommandations
En plus des probables effets positifs de la proximité et du contact ci-dessus mentionnés, la tolérance semble être la résultante, au moins en partie, de plusieurs caractéristiques sociodémographiques (Figure 12). L’instruction, en particulier, joue un rôle important en inculquant une culture de tolérance. De façon générale, les gens qui ont au moins achevé le cursus de l’enseignement secondaire tendent à démontrer une tolérance plus élevée que les moins instruits.
La jeune génération, également, démontre une tolérance plus élevée que les aînés. De même, les hommes et les citadins démontrent des niveaux de tolérance plus élevés que les femmes et les habitants des zones rurales. Une autre variable qui montre un rapport positif, quoique faible, avec la tolérance est l’accès aux média. En moyenne, les citoyens africains régulièrement exposés aux actualités par la radio, la télévision, les journaux, l’Internet, et les média sociaux sont plus enclins à démontrer des attitudes de tolérance que ceux qui ne sont pas ou ne sont que peu exposés aux média.
Ces résultats suggèrent d’importantes leçons de politique quant à la promotion des attitudes tolérantes sur le continent. D’abord, il est très important d’investir dans l’éducation pour l’avènement d’une population tolérante. Ensuite, les média d’actualités à grande audience peuvent jouer un rôle en promouvant la tolérance au sein des citoyens africains.
Photo: evangeliques.info