Guinée : Les organes de lutte contre la corruption
Abdou Latif Coulibaly, Mamadou Taran Diallo, 2013.
FRANÇAIS
En 2011, le président de Guinée Alpha Condé a mis en place un Comité national d’audit chargé de lutter contre la corruption. Cet organe dépend directement de la présidence et dispose de prérogatives très larges pour contrôler l’action publique. La corruption est un phénomène qui touche la Guinée et elle a un impact négatif sur les institutions publiques.
Dans le cadre d’une lutte plus efficace contre la corruption, la Guinée a connu la création de deux structures en une décennie. La présente étude revient sur les politiques nationales élaborées depuis l’an 2000 avec la mise en place successive du Comité national de lutte contre la corruption (CNCL) et de l’Agence nationale de lutte contre la corruption (ANCL). Le phénomène persiste malgré l’installation de ces deux institutions.
Depuis l’élection de 2010, profitant d’un contexte plus apaisé, les autorités guinéennes ont initié des réformes institutionnelles. A cet effet, l’installation du Comité d’audit a pour objectif de lutter plus efficacement contre la corruption mais la Guinée fait toujours face à d’importants obstacles, dont certains sont liés à la faiblesse de son cadre juridique.
L’absence d’une loi anti-corruption, celle d’une stratégie nationale de lutte contre la corruption, ou le fait que la Guinée applique un code des marchés publics obsolète et lacunaire sont autant de facteurs qui minent les efforts de lutte contre la corruption. Les obstacles les plus sérieux à la lutte contre la corruption sont, sans aucun doute, d’ordre institutionnel.
L’existence parallèle de plusieurs organes de contrôle, d’audit et de prévention de la corruption et le chevauchement de leurs compétences posent le problème de leur efficacité. L’absence d’indépendance de ces organes constitue de sérieuses limites à leur action et pourrait d’autant plus contribuer à la perception de leur instrumentalisation politique qu’ils sont presque tous placés sous la dépendance administrative de la présidence de la République.
L’étude propose un certain nombre de recommandations pour lutter contre la corruption.
Dans le cadre juridique:
- Il est urgent que le gouvernement soumette à l’adoption du Conseil National Transitoire (CNT) ou du nouveau parlement élu une loi anti-corruption sur la base du projet finalisé par l’ANLC et validé au cours de plusieurs fora des parties prenantes ;
- La loi doit au minimum intégrer des mécanismes en vue de la domestication des dispositions pertinentes du Protocole de la CEDEAO sur la corruption et d’autres conventions internationales ;
- Le gouvernement doit également accorder la plus grande urgence à l’adoption d’un nouveau code des marchés publics qui garantisse plus de transparence dans le processus de passation des marchés, opère une séparation fonctionnelle entre les organes qui conduisent ce processus et ceux qui le contrôlent, et qui institue une autorité indépendante de régulation des marchés publics comme il en existe dans les pays de l’Union économique et monétaire ouest-africain (UEMOA).
Dans le cadre institutionnel:
- Le gouvernement doit urgemment mettre fin à la multiplicité d’organes chargés de la lutte contre la corruption; il doit réduire leur nombre et clarifier davantage leurs domaines de compétence respectifs ;
- Il est également urgent pour le gouvernement de doter ces organes de l’indépendance et des ressources nécessaires à l’accomplissement de leurs missions, conformément aux dispositions pertinentes du Protocole de la CEDEAO sur la corruption et des autres conventions internationales auxquelles la Guinée est partie.
Dans le cadre des organes de lutte contre corruption:
- Plus concrètement, ces organes devraient être soustraits à la tutelle hiérarchique de la présidence de la République sous laquelle ils sont actuellement placés.
Dans le cadre d’une stratégie nationale de lutte contre la corruption :
- Il est important que le gouvernement accorde une grande priorité à l’adoption d’une stratégie nationale de lutte contre la corruption sur base des documents élaborés par l’ANLC et validés sous son égide.
Dans le cadre du traitement judiciaire des cas de corruption :
- Pour donner un sens aux efforts de lutte contre la corruption il est urgent de renforcer la capacité de poursuite judiciaire envers les personnes soupçonnées de corruption. Pour cela il est important, au strict minimum, de doter les organes de lutte contre la corruption d’une plus grande capacité humaine, technique et juridique de mener des investigations sur les cas allégués de corruption, par auto-saisine et sur dénonciation du public ;
- Il est nécessaire de doter les agents ou une catégorie d’agents de ces organes des pouvoirs de police et d’instruction judiciaires qui puissent leur permettre de préparer et déclencher des poursuites judiciaires ;
- Le gouvernement devrait sérieusement considérer la création d’un tribunal spécial anticorruption pourvu d’enquêteurs et magistrats compétents et spécialisés, à l’instar de la Cour de répression des crimes économiques (CREI) sénégalaise.
ENGLISH
Alpha Condé, the president of Guinea, set up in 2011 a National Audit Committee to fight against corruption. This body falls directly within the remit of the Presidency and has broad powers to control public activities. Corruption is a plague in Guinea, and it has a negative effect on public institutions.
For a more efficient fight against corruption, two institutions have been created in Guinea in a decade. This study addresses national policies developed since 2000 with the successive establishment of a National Anti-Corruption Committee (CNCL) and the National Anti-Corruption Agency (ANCL). The problem remains despite the two bodies.
Since the election in 2010, the more appeased atmosphere was an opportunity for Guinea authorities to initiate institutional reforms. The Audit Committee has therefore been created to overcome great obstacles, some of them resulting from the weakness of its judicial framework.
The lack of an anti-corruption law, of a national strategy to fight against corruption or the fact that Guinea applies an obsolete and deficient code for public procurement contracts are contributing factors undermining anti-corruption efforts to fight. The most important obstacles to these efforts are certainly of institutional nature.
The parallel existence of several monitoring, audit and prevention bodies pertaining to corruption and the overlap between their competences undermines their efficiency. These bodies’ lack of independence is a great limitation to their action and contributes to them being perceived as political instruments since they all fall directly within the administrative remit of the Presidency of the Republic.
The study gives a number of recommendations to fight against corruption.
Within the judicial framework:
- It is urgent for the government to submit an anti-corruption law for adoption to the National Transitional Council (CNT) or the new elected Parliament. This law will be based on the project finalized by the ANLC and validated after several forums gathering the stakeholders.
- The law should at least integrate systems developed to domesticate relevant provisions of the ECOWAS Protocol on anti-corruption and other international conventions.
- The Government should give the highest priority to the adoption of a new code for public procurement contracts ensuring more transparency in the procurement process. It should make a functional separation between the bodies in charge of this process and those monitoring and instituting an independent authority of public procurement regulation, as it is the case in the countries of the West African Economic and Monetary Union (WAEMU).
Within the institutional framework:
- The Government should urgently put an end to the multiplicity of organs in charge of the fight against corruption ; it should diminish their number and further clarify their respective spheres of competence.
- It is also urgent for the Government to grant these bodies independence and to allocate them the necessary resources for their missions, in accordance with the relevant provisions of the ECOWAS Protocol on corruption and other international conventions ratified by Guinea.
Within the framework of anti-corruption bodies :
- More specifically, these organs should be granted indepence from the Presidency of the Republic.
Within the framework of a national anti-corruption strategy :
- It is important for the government to give great priority to the adoption of a national anti-corruption strategy based on the documents developed by ANLC and approved under its auspices.
Within the framework of the judicial treatment of corruption cases :
- To give meaning to the anti-corruption efforts, it is urgent to build the capacities of legal proceedings when it comes to people suspected of corruption. For this, it is important to at least allocate anti-corruption bodies more human, technical and legal ressources forthem to investigate corruption cases on its own initiative and on public denunciation.
- Agents or a category of agents of these bodies should be granted police and judicial investigation powers for them to be able to prepare and start legal procedures.
- The Government should seriously consider the establishment of an anti-corruption special court with competent and specialised investigators and magistrates as the Senegalese Court for the Repression of Illicit Enrichment (CREI).
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