L’évaluation des stratégies de lutte contre la corruption. La stratégie de lutte contre la corruption de Hong Kong
César Garzon et Taieb Hafsi, 2007.
https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2007-6-page-61.htm
FRANÇAIS
Dans les régions où la corruption est endémique, quelques États sont parvenus à la faire reculer de façon spectaculaire. On cite souvent comme cas étudiés Singapour, le Chili et Hong Kong (Dommel, 1999). L’analyse de ces cas à succès confirme l’observation faite à plusieurs reprises, que la volonté politique de lutter contre la corruption seule ne suffit pas.
Les autorités des pays qui ont réussi avaient développé également des capacités réelles à changer. En fait, en plus d’afficher une grande détermination pour changer, ces pays ont mobilisé toutes les ressources et ont pris tout le temps nécessaire pour accroître les chances de réussite de leurs stratégies de lutte contre la corruption.
Ainsi, le cas de Hong Kong constitue l’un des meilleurs exemples de programme public de lutte contre la corruption mené à grande échelle sur une longue période. Aujourd’hui, 20 ans après le début du programme, la corruption semble y avoir considérablement diminué.
Les objectifs de la stratégie ont été formulés de façon claire et ils ont été amplement communiqués par le gouvernement à tous les acteurs intéressés. Ils sont au nombre de trois : d’abord, imposer le respect de la loi moyennant l’ouverture d’enquêtes et l’engagement de poursuites à propos de cas récents de corruption; ensuite, assurer la prévention, en agissant sur l’organisation et la culture de l’appareil bureaucratique et en dispensant des conseils et de l’aide aux entreprises sur les moyens de lutter contre la corruption; et enfin, informer la population des méfaits de la corruption (de Speville, 1997).
La stratégie vise à augmenter le niveau d’imputabilité des décideurs par l’imposition du respect de la loi et l’instauration d’enquêtes. Également, la recherche d’une plus grande implication du système judiciaire aide le gouvernement à bâtir sa crédibilité quant à son engagement contre la corruption, tout en augmentant les risques de ces activités.
Le gouvernement a introduit des mesures afin de modifier le fonctionnement des systèmes qui sont susceptibles d’accroître les chances de corruption. Ces mesures comprennent une incitation à rejeter la corruption s’adressant aux fonctionnaires et des modifications à l’environnement de prise de décision de la gestion publique comprenant des changements organisationnels, de la formation (pour modifier les acquis culturels), ainsi que la création de cellules de conseil aux acteurs du secteur privé. Dans leur ensemble, ces mesures cherchent à mettre sur pied des systèmes moins vulnérables à la corruption.
Une stratégie de sensibilisation de la population sur les méfaits de la corruption a été mise en place. En informant la population sur les coûts collectifs de ces pratiques et sur les mécanismes et les formes qu’elles prennent habituellement, le gouvernement s’attend à ce que les citoyens jouent un rôle central de surveillance et de dénonciation dans la stratégie et contribuent ainsi à la mise sur pied de systèmes moins vulnérables à la corruption.
Le gouvernement a mis en place des moyens des plus importants pour la réalisation des objectifs. Ainsi, la Commission indépendante de lutte contre la corruption (ICAC), un organe spécialisé ne relevant ni de l’administration publique ni de la police, mais directement du gouverneur, a été créée pour coordonner le programme national de lutte contre la corruption.
La Commission s’est attachée à lutter contre toutes les formes de corruption, celles touchant le secteur public ou le secteur privé, les petits cas ou ceux impliquant des hauts fonctionnaires et des cadres d’entreprises (de Speville, 1997).
Afin d’assurer la crédibilité du processus et d’éloigner la tentation d’en faire une arme politique contre les opposants, on a crée une commission indépendante et spécialisée. Étant donné le grand nombre d’instances publiques et privées qui doivent collaborer pour atteindre les objectifs fixés, on s’assure que toutes ces interventions se fassent de manière ordonnée en donnant un rôle de coordination à l’ICAC. Enfin, on a donné à l’ICAC un mandat clair et ample, des ressources et l’autorité nécessaires et compatibles avec la réalisation du mandat.
L’ICAC relève directement du gouverneur, sans aucun intermédiaire, ce qui montre l’engagement au plus haut niveau du gouvernement envers la stratégie anticorruption. Le gouvernement a réussi à faire de la lutte contre la corruption l’affaire de tout le monde.
Tant dans la formulation des objectifs que dans la mise en œuvre, la stratégie adoptée a été menée avec le concours des autorités et des milieux des affaires, et le gouvernement a fait constamment appel au soutien de la population. En impliquant dès le départ les acteurs concernés, le gouvernement a encouragé la participation d’amples segments de la population dans la stratégie.
Le programme anticorruption de Hong Kong montre une démarche stratégique anticorruption dans laquelle les objectifs et les mécanismes de mise en œuvre sont en adéquation avec les critères d’évaluation du contenu et du processus énoncés auparavant. Il est aussi remarquable au niveau de la cohérence entre les éléments de la stratégie eux-mêmes.
La capacité de leadership du gouvernement, la clarté dans les choix et la communication des objectifs formulés ainsi que la structure mise sur place pour coordonner les efforts et susciter la collaboration des acteurs concernés, se sont renforcées mutuellement de façon exemplaire.
Après une vingtaine d’années d’efforts, il y a maintenant des indices concrets qui permettent de valider les orientations de la stratégie. Ainsi, on peut vérifier que la fixation des règles au sommet s’est traduite par l’adoption de mesures concrètes d’assainissement des pratiques commerciales.
La construction et l’aménagement de l’aéroport de Hong Kong, un vaste projet de 20 milliards de dollars, ont été utilisés comme exemple pour montrer aux citoyens et aux milieux d’affaires qu’il est possible d’arriver à un consensus sur les nouvelles règles de jeu.
Ce projet, dont la réalisation s’est étalée entre 1991 et 1998, a été réalisé sans retard et sans dépassement de budget, un changement important par rapport à la plupart des projets comparables réalisés dans le passé (Rooke et Wiehen, 1999). Les résultats impressionnants affichés par ce projet illustrent une façon de valider les conséquences de la stratégie anticorruption.
Enfin, peut-être le résultat le plus important de la stratégie réside dans les changements culturels qu’elle a suscités. Par exemple, les attitudes ont commencé à changer, signifiant une évolution dans les valeurs auxquelles la société de Hong Kong a accordé la priorité. En effet, les sondages montrent que l’opinion publique est dans sa grande majorité d’accord avec les initiatives en faveur de la lutte contre la corruption (de Speville, 1997).
Les facteurs socioculturels qui jadis contribuaient aux indices de corruption élevés, ont sérieusement diminués après vingt ans du programme. Maintenant, Hong Kong est considérée comme une société qui ne tolère plus la corruption.
En fait, l’opinion publique et le monde des affaires ne semblent plus voir la corruption comme un phénomène inévitable de la vie quotidienne Il s’agit ici peut-être de la preuve la plus convaincante de l’efficacité à long terme de la stratégie anticorruption de Hong Kong.
ENGLISH
In areas where corruption is endemic, few states have managed to reduce it dramatically. Singapore, Chile and Hong Kong are often cited as case studies (Dommel, 1999). The analysis of these successful cases confirms the point made repeatedly, that the political will to fight against corruption alone is not enough.
The authorities of the countries that have succeeded had also developed real capabilities to change. In fact, in addition to showing great determination to change, these countries have mobilized all resources and have taken all the time necessary to increase the chances of success of their anti-corruption strategies.
Thus, Hong Kong is one of the best examples of anti-corruption public program carried out on a large scale over a long period. Today, 20 years after the program began, corruption appears to have significantly decreased.
The objectives of the strategy have been formulated clearly and the Government extensively communicated them to all stakeholders. They are three in number: first, enforce compliance with the law through the initiation of investigations and the prosecution about recent cases of corruption; then ensure prevention, by acting on the organization and culture of the bureaucratic apparatus and by providing advice and assistance to companies on ways to fight against corruption; and finally, inform the public of the evils of corruption (de Speville, 1997).
The strategy aims to increase the level of accountability of decision makers through the imposition of the rule of law and the establishment of inquiries. Also, the search for greater involvement of the judiciary helps the government to build credibility regarding its commitment against corruption, while increasing the risk of these activities.
The government has introduced measures to change the operating systems that may increase the chances of corruption. These measures include an incentive to reject corruption for civil servants and changes in the decision-making environment in public administration including organizational changes, training (to change learned cultural practices), and the creation of advisory services for the private sector. Taken together, these measures seek to develop systems that are less vulnerable to corruption.
A strategy to sensitize the public to the evils of corruption was established. By informing the public about the social costs of these practices and the mechanisms and forms they usually take, the government expects that citizens play a central role of monitoring and reporting in the strategy and thus contribute to the establishment of systems that are less vulnerable to corruption.
The government has set up more important means for achieving the objectives. Thus, the Independent Commission against Corruption (ICAC), a specialized body not related to public administration nor to the police, but directly within the governor’s competency, was created to coordinate the national program against corruption.
The Commission is committed to fighting against all forms of corruption, those affecting the public sector or the private sector, small cases or those involving senior officials and business executives (de Speville, 1997).
To ensure the credibility of the process and to remove the temptation to make it a political weapon against opponents, we have created an independent, specialized commission. Given the large number of public and private bodies that must work together to achieve the objectives set, we make sure that these interventions are done in an orderly manner by giving a coordination role to the ICAC. Finally, we gave the ICAC a clear and broad mandate, resources and the authority needed and consistent with the achievement of the mandate.
The ICAC reports directly to the governor, without any intermediary, which demonstrates the commitment at the highest level of government to the anti-corruption strategy. The government has managed to make the fight against corruption the business of everyone.
Both in the formulation of objectives and in the implementation, the strategy was conducted with the assistance of the authorities and the business community, and the government has consistently called for the support of the population. By involving from the start stakeholders, the government encouraged the participation of large segments of the population in the strategy.
The anti-corruption program of Hong Kong shows an anti-corruption strategic approach in which the objectives and implementation mechanisms are in line with the criteria for evaluating content and processes outlined before. It is also remarkable for the level of consistency between elements of the strategy themselves.
The leadership capacity of the government, clarity in choices and reporting of stated objectives as well as the structure set up to coordinate efforts and encourage collaboration of stakeholders have strengthened each other in an exemplary manner.
After twenty years of efforts, there are now concrete indications that validate the guidelines of the strategy. Thus, we can verify that setting of the rules at the top resulted in the adoption of concrete measures to consolidate business practices.
The construction and development of HongKong airport, a major project of $ 20 billion, were used as an example to show the citizens and the business community that it is possible to reach a consensus on the new rules of the game.
This project whose implementation spanned from 1991 to 1998 was carried out without delay and within budget, a significant change compared to most comparable projects in the past (and Rooke Wiehen, 1999). The impressive results of this project show a way to validate the impact of the anti-corruption strategy.
Finally, perhaps the most important result of the strategy lies in the cultural changes it has generated. For example, attitudes have begun to change, meaning a shift in the values that the Hong Kong community has given priority. Indeed, polls show that public opinion for the most part agrees with the anti-corruption initiatives (of Speville 1997).
Sociocultural factors that formerly contributed to the high corruption indices have severely decreased after twenty years of the program. Now Hong Kong is considered a society that no longer tolerates corruption.
In fact, public opinion and the business community do not seem to see corruption as an inevitable phenomenon of daily life. This is perhaps the most compelling evidence of the long-term effectiveness of the anti-corruption strategy of Hong Kong.
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