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La Commission Ouest-Africaine sur les Drogues
Exprimant sa vive préoccupation face aux menaces croissantes que font planer le trafic et la consommation de drogues en Afrique de l’Ouest, Kofi Annan, ancien Secrétaire général des Nations Unies, avait constitué la Commission Ouest-Africaine sur les Drogues en janvier 2013. Elle poursuit les objectifs suivants : sensibiliser l’opinion publique aux défis posés par le trafic de drogues et susciter l’engagement politique ; élaborer des recommandations fondées sur des données probantes ; promouvoir les capacités régionales et locales et favoriser la prise en charge de ces défis par les autorités et populations locales.
Présidée par l’ancien président du Nigéria Olusegun Obasanjo, la Commission était composée de personnalités d’Afrique de l’Ouest issues de la sphère politique, la société civile, les secteurs de la santé et de la sécurité et le domaine judiciaire.
Date of publication: 2014
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Le rapport annuel 2016 de l’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) indiquait que l’Afrique est l’une des principales zones de transit du trafic mondial de drogues. Elle devient progressivement un marché de consommation et de destination pour tous les types de drogues. La région ouest-africaine du continent est, de plus en plus, marquée par des opérations criminelles y ayant trait et par la fabrication illicite de drogues principalement destinées aux marchés étrangers.
WATHI a choisi ce document de la Commission Ouest-Africaine sur les drogues constituée en 2013 par Koffi Annan parce que, plus qu’un fléau, la drogue est un phénomène social présente dans toutes les sociétés du monde notamment et en Afrique de l’Ouest. Parce que l’avenir de la jeunesse ouest-africaine est en danger avec l’avènement de nouveaux types de drogue, et que l’usage de celle-ci doit être considéré comme un problème de santé publique. Ce rapport expose les réalités de ce trafic et les dangers sur la santé des citoyens de la région notamment des jeunes. En décembre 2013 déjà, lors d’un débat du Conseil de sécurité des Nations Unies portant sur la question de la drogue, l’ancien Secrétaire général des Nations Unies Koffi Annan estimait la valeur annuelle de la cocaïne transitant par l’Afrique de l’Ouest à 1,25 milliard de dollars US, un montant largement supérieur au budget annuel de plusieurs États de la région.
Ce document met en lumière les difficultés des gouvernements des Etats de l’Afrique de l’Ouest à évaluer et à lutter contre cette entreprise illicite dans leur territoire et au niveau de leurs frontières. Enfin, ce rapport propose de nouvelles alternatives aux Etats ouest-africains qui mettent en avant la santé des consommateurs plus que la répression pénale dont ils font l’objet.
Parmi les recommandations du rapport, huit (8) pistes d’action devraient faire l’objet d’une attention particulière pour les pays de l’Afrique de l’Ouest:
- Traiter l’usage de drogues comme un problème de santé publique avec des causes et des conséquences socio-économiques, plutôt que de le confier à la justice pénale ;
- Affronter énergiquement les problèmes politiques et les problèmes de gouvernance qui incitent à la corruption au sein des gouvernements, des services de sécurité et de l’appareil judiciaire, et que les trafiquants exploitent ;
- Élaborer, réformer et/ou harmoniser les législations sur les drogues en se fondant sur les normes minimales existantes ou en cours d’élaboration, et poursuivre la décriminalisation de l’usage de drogues et des infractions mineures et non-violentes ;
- Renforcer les dispositifs d’application de la loi à des fins de dissuasion plus sélective, ciblant en priorité les hauts responsables du trafic ;
- Éviter la militarisation des politiques sur les drogues et des mesures de lutte contre le trafic : certains pays d’Amérique latine ont opté pour cette solution, appliquant à grands frais une politique qui n’a pas permis de réduire l’offre ;
- Faire en sorte que la responsabilité partagée des pays de production, de transit et de consommation débouche sur des stratégies opérationnelles, notamment un échange d’expérience entre les dirigeants des pays touchés en Afrique de l’Ouest et ailleurs ;
- Adopter une gestion équilibrée de l’aide extérieure, en allouant des ressources aussi bien aux domaines de la sécurité et de la justice qu’au secteur de la santé publique, en particulier concernant la prise en charge et la réduction des risques ;
- Investir dans la collecte de données de référence (y compris par des sondages d’opinion auprès des populations) et dans la recherche relative au trafic et à l’usage de drogues.
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Du transit à la consommation et à la production
Si le trafic et la consommation de drogues ne constituent pas des phénomènes nouveaux en Afrique de l’Ouest, ils ont, depuis le milieu des années 2000, pris une ampleur telle qu’ils représentent une menace pour la sécurité, la gouvernance, et le développement de nombreux pays de la région. Les cartels internationaux de la drogue, avec la complicité de divers réseaux criminels ouest-africains, ont commencé à y transborder la cocaïne en provenance d’Amérique du Sud et à destination de l’Europe et de l’Amérique du Nord.
La région a enregistré une augmentation de l’usage de drogues, une hausse de la production régionale et du trafic de STA (stimulants de type amphétamine), et fait face à l’implication de hauts responsables dans le trafic de drogues. Le trafic de drogues illicites a joué un rôle direct ou indirect dans les troubles politiques qui ont secoué des pays comme la Guinée-Bissau et le Mali, et dans la montée de l’extrémisme dans certaines des zones les plus pauvres et les plus marginalisées d’Afrique de l’Ouest.
En décembre 2013, lors d’un débat du Conseil de sécurité des Nations Unies portant sur la question, le Secrétaire général des Nations Unies a estimé la valeur annuelle de la cocaïne transitant par l’Afrique de l’Ouest à 1,25 milliard de dollars US – un montant largement supérieur au budget annuel de plusieurs États de la région. L’Afrique de l’Ouest a également servi de zone de transit pour l’héroïne (en provenance d’Asie du Sud-Est et d’Asie occidentale et à destination de l’Europe et de l’Amérique du Nord). Elle est devenue récemment une source de production de STA destinés principalement à l’Asie du Sud-Est, ce qui a alimenté, par voie de conséquence, l’émergence d’un marché ouest-africain pour ces produits.
En décembre 2013, lors d’un débat du Conseil de sécurité des Nations Unies portant sur la question, le Secrétaire général des Nations Unies a estimé la valeur annuelle de la cocaïne transitant par l’Afrique de l’Ouest à 1,25 milliard de dollars US – un montant largement supérieur au budget annuel de plusieurs États de la région
Il est devenu de plus en plus facile de se procurer de la cocaïne, de l’héroïne et des STA dans la région, ce qui a entraîné une hausse de l’usage et de la dépendance, en particulier chez les jeunes. L’absence de traitements efficaces et de services de réduction des risques pour les personnes souffrant de troubles liés aux drogues pose des risques de santé publique importants et accentue certains des problèmes de santé actuels, dont le VIH et l’hépatite C.
Interventions régionales et internationales face à la crise de la drogue en Afrique de l’Ouest
Une vaste palette de mesures politiques et opérationnelles ont été adoptées afin d’apporter une meilleure réponse au problème du trafic de drogues en Afrique de l’Ouest. La Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), principale organisation sous-régionale chargée de définir les orientations politiques et de mettre en place des interventions contre le trafic de drogues, a accompli d’importants progrès.
Elle est en effet parvenue à élaborer une structure cohérente de lutte contre le trafic de drogues et ses effets, notamment grâce à l’adoption de la Déclaration politique sur la prévention de l’abus de drogues, du trafic illicite et du crime organisé en Afrique de l’Ouest (la « Déclaration d’Abuja »), assortie d’un Plan d’action régional. L’un des aspects essentiels, mais complexes, du travail de la CEDEAO a été de s’assurer de la responsabilité de chaque État dans la mise en œuvre du Plan d’action, qui est axé sur cinq thématiques dans lesquelles sont intégrés les problèmes de santé publique. Parmi les autres mécanismes de lutte contre le trafic de drogues, on peut citer la Stratégie anti-terroriste de la CEDEAO et le Plan de mise en œuvre adoptés en février 201315, ainsi que la Stratégie maritime intégrée, finalisée en novembre 2013.
Le Plan d’action de l’Union Africaine sur la lutte contre la drogue (2013-2017) adopté en janvier 2013 encourage les membres de l’UA à garantir des politiques de lutte contre la drogue qui tiennent compte de l’importance des droits humains et de la santé publique
Le Plan d’action de l’Union Africaine sur la lutte contre la drogue (2013-2017) adopté en janvier 2013 encourage les membres de l’UA à garantir des politiques de lutte contre la drogue qui tiennent compte de l’importance des droits humains et de la santé publique. Dans l’ensemble, les réponses régionales se sont indubitablement accentuées au cours des dernières années. Mais ces dernières ont porté principalement sur le contrôle des flux de stupéfiants et sur le renforcement de l’application de la loi et, dans une bien moindre mesure, sur la corruption en haut lieu ou la santé publique, malgré les risques à long terme que représentent ces problèmes sur la sécurité et le bien-être.
Corruption au sommet : quand les élites et les trafiquants exploitent les faiblesses institutionnelles
À en juger par les informations et entretiens relayés par les médias ouest-africains, les fruits du trafic de drogues seraient utilisés pour corrompre des élus et d’autres représentants officiels. Les dossiers relatifs à des affaires récentes de saisies et d’arrestations dans plusieurs pays ont permis de mieux comprendre le soutien apporté aux trafiquants par un large éventail de personnes, parmi lesquelles des hommes d’affaires, des hommes politiques, des membres des forces de sécurité et de l’appareil judiciaire, des hommes d’église, des chefs traditionnels et des jeunes.
Il semble que les trafiquants établissent aisément des relations avec des personnes influentes et soient capables de mettre en place et de faire fonctionner des réseaux sociaux informels, ce qui leur permet d’éviter de se faire repérer par l’appareil de sécurité de l’État ou de s’en assurer les services, si nécessaire. En opérant de la sorte, les trafiquants parviennent à redéfinir les relations qui existent entre les acteurs politiques, les acteurs de la sécurité, les citoyens et les milieux d’affaires au sein et au-delà des territoires nationaux. L’infiltration et l’affaiblissement potentiel de l’armée, de la police et des douanes et autres organes de contrôle des frontières en Afrique de l’Ouest constituent de véritables menaces.
Le fait qu’en Afrique de l’Ouest les élections – éléments clés d’un système politique démocratique – ne bénéficient pas, dans la plupart des pays, de financements publics, est extrêmement fragilisant. Dans bien des cas, les candidats sont « propriétaires » de leur parti, qu’ils financent par leurs propres moyens ou en recueillant des fonds auprès d’amis, d’alliés régionaux et de leur ethnie. En outre, si certains systèmes électoraux ouest-africains exigent des déclarations de patrimoine et imposent un plafonnement des dépenses de campagnes ainsi que des restrictions sur leur financement, les mécanismes qui permettraient de vérifier et contrôler le respect de ces mesures sont limités.
La capacité de l’Afrique de l’Ouest à se défendre contre une infiltration de sa sphère politique par des trafiquants de drogues dépendra largement de son efficacité à protéger ses systèmes électoraux de telles ingérences. Il a été pris acte de cette situation lors d’une conférence sur le thème des élections et de la stabilité en Afrique de l’Ouest qui s’est tenue à Praia, au Cabo Verde, en mai 2011.
En exagérant la place de l’extrémisme, la complexité du trafic de drogues risque de passer au second plan
En général, le trafic de drogues, à l’instar d’autres formes de criminalité organisée, n’attire l’attention que lorsqu’il est associé à des actes de violence manifeste. Mais cette tendance à l’évaluation de l’impact du trafic de drogues à l’aune du degré de violence qu’il provoque ou des liens qu’il entretient avec des groupes terroristes se traduit parfois par une sous-estimation des relations qu’entretiennent les trafiquants de drogues et les élites de la sphère politique et des milieux d’affaires.
Néanmoins, de nombreuses voix pour se sont élevées pour faire part de leur préoccupation : l’intensification de la concurrence pour l’accès aux routes, au produit et aux profits du trafic de drogues pourrait entraîner en Afrique de l’Ouest un essor de la violence tel que l’ont connu le Mexique, l’Amérique centrale, les Caraïbes et le Brésil. De plus, si la production s’accroît dans la région – comme le suggère la découverte de laboratoires de méthamphétamines et de cocaïne sur place– des conflits violents pourraient éclater au sujet du contrôle de cette production, engendrant encore davantage de corruption et d’insécurité.
Toutefois, à l’exception de la Guinée-Bissau et, plus récemment, du nord du Mali, il ne semble guère établi que le commerce des drogues illicites soit lié à la violence politique ou urbaine, comme cela a été le cas dans certaines régions d’Amérique latine et des Caraïbes.
Il peut toutefois s’avérer dangereux d’exagérer la menace du « narco-terrorisme » ou du « narco-djihadisme ». La vision d’un « complexe narcoterroriste » de grande échelle en Afrique de l’Ouest et au Sahel est trompeuse. À en juger par la nature hybride de ces groupes, il serait plus exact et plus utile de voir en eux des « entrepreneurs criminels » qui peuvent aussi bien prétendre un jour qu’ils agissent à la solde d’une organisation terroriste et le lendemain à la solde d’un groupe transnational de trafic de drogues ou d’armes.
Sur la piste de l’argent de la drogue – à qui profite le trafic ?
Les trafiquants « emploient des moyens complexes pour blanchir les capitaux produits par le trafic de stupéfiants, notamment le recours à des avocats, à des bureaux de change, à des échanges commerciaux, à des passeurs, à des sociétés-écrans, à l’achat de biens immobiliers, d’hôtels, de casinos». Le fait qu’en Afrique de l’Ouest les transactions économiques s’effectuent principalement en espèces complique davantage les efforts de lutte contre ce phénomène.
L’afflux du produit de la drogue et d’autres capitaux illicites sur le marché local peut donner temporairement l’impression d’une économie en bonne santé, comme l’ont fait remarquer plusieurs responsables régionaux de la lutte contre la criminalité économique et financière, rencontrés lors de visites de pays de la WACD. Mais en général, seuls quelques individus en profitent. Selon le GIABA, la probabilité que les trafiquants de drogues, tout comme d’autres réseaux criminels transnationaux, investissent leurs profits dans des pays de transit qui présentent « une situation politique, économique et sociale instable et des mécanismes de contrôle insuffisants » est très faible. Au lieu de cela, le blanchiment se produit en général « dans des pays stables hors de la région ou dans des pays de la région présentant une économie relativement stable, où la majorité des transactions s’effectue en espèces et où les autorités ne peuvent que difficilement contrôler les entrées et les sorties de capitaux ».
Les trafiquants « emploient des moyens complexes pour blanchir les capitaux produits par le trafic de stupéfiants, notamment le recours à des avocats, à des bureaux de change, à des échanges commerciaux, à des passeurs, à des sociétés-écrans, à l’achat de biens immobiliers, d’hôtels, de casinos »
Encadré 1 : Où mène la piste de l’argent ?
Le 4 avril 2011, Adegboyega Ayobami Adeniji a été arrêté à l’aéroport d’Heathrow par l’agence britannique pour la gestion des frontières (United Kingdom Border Agency) pour avoir fait entrer au Royaume-Uni 30,8 kg de cocaïne, 5,1 kg d’héroïne et 1,9 kg d’amphétamines, dissimulés dans 45 paquets bruns répartis dans deux sacs. Une perquisition de son domicile britannique a permis la découverte de documents relatifs à des transactions financières et à des envois d’équipement à une entreprise nigériane appelée The Potential Four.
Ces documents ont conduit à l’identification de deux adresses et d’un compte en banque. Au cours de l’enquête, la police a découvert qu’Adegboyega avait immatriculé The Potential Four Ltd au Nigéria en indiquant comme membres du conseil d’administration son épouse, son frère et lui-même, et qu’il utilisait l’entreprise et plusieurs autres affaires qu’il détenait au Nigéria pour blanchir le produit du trafic de drogues. Il avait fait construire une grande maison dans un quartier huppé de Lagos pour la somme de 400 000 dollars, et importé plusieurs voitures de luxe. Avant de se faire prendre, il avait réussi à rapatrier plusieurs millions de dollars au Nigéria.
Dans les années 1990, Raymond Amankwaah, un trafiquant ghanéen notoire qui aurait entretenu des liens étroits avec l’élite politique et les milieux d’affaires, a réinvesti le produit du trafic de drogues dans une usine de crème glacée et des biens immobiliers à Accra
Dans les années 1990, Raymond Amankwaah, un trafiquant ghanéen notoire qui aurait entretenu des liens étroits avec l’élite politique et les milieux d’affaires, a réinvesti le produit du trafic de drogues dans une usine de crème glacée et des biens immobiliers à Accra. Il a également créé une entreprise du nom de Himpex Ltd. Lorsqu’en avril 1995 la police britannique a procédé à l’arrestation de membres d’un vaste réseau de cocaïne qu’il contrôlait à Londres, elle a établi qu’Amankwaah avait approvisionné le marché britannique en cocaïne pour une valeur de plusieurs millions de livres. Amankwaah purge actuellement une peine de 14 ans de prison au Centre de détention provisoire de Caucaia au Brésil, pour trafic de drogues.
Quand l’application de la loi ne protège pas les citoyens : plaidoyer en faveur de la décriminalisation
Les législations et les dispositions pénales en matière de drogue en vigueur dans la plupart des pays ouest-africains sont fortement influencées par les conventions des Nations Unies sur les drogues et tous les pays de la région se sont formellement engagés à combattre le trafic de drogues et à réduire la consommation et la demande. Une analyse de la législation en matière de drogue et de son application soulève toutefois des questions importantes quant à la catégorisation des infractions et à la sévérité des sanctions (qui vont dans certains cas de 10 à 15 ans de prison pour des infractions mineures, et de 15 ans d’emprisonnement à la peine de perpétuité pour des infractions plus graves).
La criminalisation de l’usage de drogues fait également obstacle au traitement de leur usage problématique. Les usagers sont facilement dissuadés d’entamer une démarche de traitement s’ils craignent d’être dénoncés à la police et arrêtés. Et s’ils se font arrêter et emprisonner, il est peu probable qu’ils se voient proposer un traitement adéquat, ce qui ne fait qu’accroître le risque de propagation de maladies associées à l’usage abusif de drogues (en particulier l’usage de drogues injectables).
La criminalisation de l’usage de drogues fait également obstacle au traitement de leur usage problématique. Les usagers sont facilement dissuadés d’entamer une démarche de traitement s’ils craignent d’être dénoncés à la police et arrêtés
Des entretiens menés au Nigéria, au Mali, au Sénégal, au Ghana, en Guinée et en Sierra Leone ont montré que les personnes arrêtées pour des infractions liées aux drogues – souvent dans le cadre d’opérations destinées à remplir des quotas d’arrestations et de saisies – étaient généralement des petits revendeurs ou des usagers de cannabis qui passaient une longue période en détention provisoire et contractaient dans bien des cas d’autres maladies avant d’être condamnés ou libérés suite au paiement d’une amende (ou, plus souvent, d’un pot-de-vin).
Comme cela a déjà été observé plus haut, la CEDEAO a jugé prioritaire d’examiner dans le détail « la législation des États membres existants afin d’aboutir à une norme minimale commune qui garantisse des mesures suffisamment dissuasives contre le trafic illicite, et promeuve le recours à des stratégies de réduction de la demande en vue de faire face au problème de l’abus de stupéfiants conformément aux conventions régionales et internationales en vigueur ».
À cet effet, en 2013 les présidents des comités de lutte contre la drogue de la CEDEAO ont appelé la Commission de la CEDEAO à « harmoniser les textes législatifs de la CEDEAO en formulant un protocole régional unique et actualisé en matière de lutte contre la drogue et de prévention du crime organisé ». Outre l’initiative de la CEDEAO, d’autres actions actuellement en cours visent à harmoniser les législations en matière de drogues.
L’Afrique de l’Ouest peut tirer des enseignements des expériences d’autres régions qui ont constaté que la décriminalisation de certains aspects du problème de la drogue, tels que sa détention et son usage, constituaient l’un des moyens les plus efficaces de réduction de l’usage problématique de drogues, en particulier si les usagers les plus actifs sont traités. La décriminalisation renvoie aux circonstances où les infractions mineures liées aux drogues (telles que l’usage et/ou la détention, la production et la culture de drogues pour usage personnel) ne sont plus passibles de sanctions pénales.
Dans ce modèle, les sanctions peuvent être administratives (telles qu’une amende, l’orientation vers une structure médicale ou des activités éducatives) ou être totalement abolies. Si la décriminalisation signifie que l’usage et la détention de drogues pour usage personnel ne relèvent plus du droit pénal, les infractions graves liées aux drogues (comme le trafic, la production de masse et la distribution à grande échelle) restent illégales.
L’Afrique de l’Ouest peut tirer des enseignements des expériences d’autres régions qui ont constaté que la décriminalisation de certains aspects du problème de la drogue, tels que sa détention et son usage, constituaient l’un des moyens les plus efficaces de réduction de l’usage problématique de drogues, en particulier si les usagers les plus actifs sont traités
La prise de conscience de ces réalités a donné lieu à un corpus toujours plus étoffé de recherches scientifiques, notamment des études commandées par des gouvernements, aboutissant à d’importants travaux de reclassement, de décriminalisation ou de légalisation des drogues dans le droit pénal. Un récent rapport note que l’accumulation d’éléments attestant des conséquences dévastatrices de la criminalisation de l’usage de drogues sur les personnes – stigmatisation, incarcération de masse, impact sur l’emploi, risques de santé publique – a conduit de nombreux pays à décriminaliser la détention et l’usage de drogues. En 2013, dans un rapport majeur consacré aux politiques en matière de drogues, l’Organisation of American States a formulé l’idée d’une mise à l’essai de régimes juridiques différents, en particulier en ce qui concerne le cannabis.
En outre, deux États américains ont légalisé l’usage de cannabis sous toutes ses formes, et vingt États autorisent la vente et l’usage de cannabis à des fins thérapeutiques. À l’instar de la Suisse, qui a décriminalisé en 2013 toutes les infractions mineures liées au cannabis et traite désormais celles-ci de la même manière que des infractions au code de la route, plusieurs pays européens s’abstiennent de sanctions pénales dans les cas d’infractions mineures liées au cannabis. En décembre 2013 s’est tenu au Parlement marocain un débat public sur la légalisation du cannabis à certaines fins, une question qui revêt des conséquences économiques considérables pour le pays, important producteur.
La décriminalisation n’est pas une idée nouvelle. Elle n’est pas non plus l’apanage d’une seule région. Au contraire « des pays aussi disparates que l’Arménie, la Belgique, le Chili, l’Estonie, le Maroc, le Mexique, le Portugal, la République tchèque et la Suisse, entre autres, ont tous adoptés une forme de politique de décriminalisation au cours des dix et quelques derrières années». La décriminalisation n’est évidemment pas la solution à tous les problèmes associés à l’usage problématique de drogues et les projets de réforme dont les conséquences n’ont pas été mûrement réfléchies peuvent avoir des effets négatifs.
Le cannabis domine l’usage de drogues – mais les données sont rares
D’après les estimations de l’ONUDC, l’usage de cocaïne en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale est bien plus élevé que la moyenne mondiale, en tenant compte de la taille de la population. Quelque 1,6 million de personnes auraient consommé de la cocaïne dans la région en 2012 (avec un intervalle de confiance large et des estimations variant entre 570 000 et 2,4 millions en raison du peu de données fiables).
Des saisies effectuées dans des pays d’Asie et d’Europe ont permis de constater que de grandes quantités de méthamphétamines avaient été trafiquées par le Bénin, la Côte d’Ivoire, la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Mali, le Nigéria, le Sénégal et le Togo.
En Afrique de l’Ouest, il est consommé bien plus de cannabis que de cocaïne, d’héroïne ou de STA. Selon les rapports de l’ONUDC, c’est en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale que la prévalence de l’usage de cannabis chez les adultes serait la plus élevée, avec un taux de 12,4 %, contre en moyenne 7,5 % en Afrique et 3,9 % à l’échelle mondiale.
Compte tenu de ces constatations, la Commission recommande les actions suivantes :
Traiter l’usage de drogues comme un problème de santé publique avec des causes et des conséquences socio-économiques, plutôt que de le confier à la justice pénale :
- Adopter des cadres politiques en matière de traitement de la dépendance aux drogues, en adéquation avec les principes fondamentaux et les normes politiques et juridiques minimales référencées dans le présent rapport, tels que le développement des services de traitement de la dépendance aux drogues et autres services et dispositifs de santé connexes, ainsi que la mise en place de programmes de prévention communautaires et de solutions décentralisées en matière de traitement.
- Adopter des approches de réduction des risques afin de minimiser les plus graves des risques induits par la consommation de drogues, tout en s’assurant de leur intégration au sein des stratégies nationales de développement
Affronter énergiquement les problèmes politiques et les problèmes de gouvernance qui incitent à la corruption au sein des gouvernements, des services de sécurité et de l’appareil judiciaire, et que les trafiquants exploitent
- Soutenir la création de tribunes, entre et au sein des partis, pour discuter de l’impact du trafic de drogues et du financement illicite des partis sur les systèmes politiques en Afrique de l’Ouest dans le but d’établir des mécanismes qui permettraient de protéger ces systèmes du financement illicite.
- Renforcer la fonction de contrôle des parlements quant à l’élaboration et la mise en œuvre des législations en matière de drogues.
Élaborer, réformer et/ou harmoniser les législations sur les drogues en se fondant sur les normes minimales existantes ou en cours d’élaboration, et poursuivre la décriminalisation de l’usage de drogues et des infractions mineures et non-violentes
- Garantir que les efforts déployés en vue de l’élaboration, de la réforme et/ou de l’harmonisation des législations en matière de drogues s’appuient sur les normes minimales existantes et émergentes dont l’objectif central est la protection de la sécurité, de la santé, des droits de l’homme et du bien-être collectif.
- Poursuivre la décriminalisation de l’usage de drogues et des infractions mineures et non-violentes liées aux drogues par le biais d’une réforme de la législation nationale afin de réduire les énormes pressions qui pèsent sur des systèmes pénaux surchargés et de protéger les citoyens de risques supplémentaires.
Renforcer les dispositifs d’application de la loi à des fins de dissuasion plus sélective, ciblant en priorité les hauts responsables du trafic
- Soutenir davantage les efforts consentis en faveur de la mise en place d’unités spéciales au sein des agences spécialisées, tout en s’assurant que des dispositifs de protection sont mis en place afin d’éviter toute infiltration de ces unités par la criminalité organisée ou toute pratique abusive.
- Améliorer les techniques de collecte et d’analyse des renseignements ; et développer des mécanismes opérationnels plus durables en matière d’échange de renseignements au sein des régions et entre ces dernières.
Éviter la militarisation des politiques sur les drogues et des mesures de lutte contre le trafic : certains pays d’Amérique latine ont opté pour cette solution, appliquant à grand frais une politique qui n’a pas permis de réduire l’offre.
Adopter une gestion équilibrée de l’aide extérieure, en allouant des ressources d’un côté aux domaines de la sécurité et de la justice et de l’autre au secteur de la santé publique, en particulier en matière d’offre de traitement et de prestation de services de réduction des risques.
Faire en sorte que la responsabilité partagée des pays de production, de transit et de consommation débouche sur des stratégies opérationnelles, notamment un échange d’expérience entre les dirigeants des pays touchés en Afrique de l’Ouest et ailleurs.
Investir dans la collecte de données de référence et dans la recherche relative au trafic de drogues et à la consommation de drogues.
Assurer l’appui durable d’initiatives telle que l’initiative de la CEDEAO pour la création d’un réseau épidémiologique ouest-africain sur l’usage des drogues (WENDU) et approfondir les recherches (et renforcer les capacités régionales en matière de recherche) ayant trait à l’impact – en termes de sécurité, de gouvernance et de développement – du trafic et de la consommation de drogues dans la région
Source photo : Africa Check